Archive pour la catégorie ‘Articles /question’

14ème Article/question - Aristote, maintenant que “les navettes volent toutes seules”, qu’il nous lâche un peu! Est-ce possible?

Jeudi 20 novembre 2008

C’est sans doute Aristote qu’il faut citer en premier . C’est lui qui engage le plus nettement la phase de démarrage et d’essor, bientôt contraignant, du « repli réflexif » , c’est à dire la marque de la pensée de l’occident, surtout Europe . Encore plus nettement que Socrate et Platon peu avant lui .

Réécrire ses livres, notamment la Physique, la Métaphysique et la Poétique, avec les connaissances et la technologie poussées où elles en sont aujourd’hui, ce serait à faire comme une nécessité étant donné que les textes d’Aristote font toujours foi . 60% des occidentaux suivent sans sourciller ces textes quand ils se mettent à penser, et encore plus sans y penser, malgré cet abîme de non-connaissance et de non-technologie qui sépare le temps d’Aristote du nôtre. On se demande bien pourquoi il font toujours foi ces textes : comment cela se peut-il ?

Dans le domaine du Tissu l’exemple est bien connu d’une mise à jour particulièrement indispensable, d’une correction rigoureusement nécessaire par l’inverse en rapport avec les progrès des technologies. Aristote justifiait l’esclavage : sans les esclaves pas de production textile ; « pour qu’on puisse s’en passer, disait-il, il faudrait que les navettes marchent toutes seules »,… ce qui selon lui ne sera jamais : inconcevable ! Les métiers à tisser industriels d’aujourd’hui sont tous automatiques et les « navettes volent toutes seules », quelques tisserands et techniciens suffisent à la surveillance de nombreux métiers . Ces vues d’Aristote ne peuvent être prises, comme on l’a fait souvent, pour une prophétie . Que vaut une prophétie à laquelle son auteur est le premier à ne pas croire et qu’est-ce qu’une prophétie que l’avenir inverse ?

Aristote …pour nous ? Incroyable, c’est vers - 330 av. J.C….et on se réveille sans savoir qu’Aristote est toujours derrière le stock grossissant des écrits et discours philosophiques que nous consommons . Tout leur fond principal est le réemploi non critique « du total mode d’emploi » établi par Aristote, autrement dit : nos « Universaux ». On ne se demande guère ce qui manque dans ce mode d’emploi. On en vient rarement à se poser la question : tout cela n’est-il pas simplement la grille de lecture et de pensée d’il y a 24 siècles …tant nos habitudes mentales l’admettent comme allant de soi ? Tout de même que vaut - elle pour nous aujourd’hui, cette grille de lecture du monde? Elle aurait tout dit : plus fort que la Bible ? C’est tout le commentaire qui en a fait un dogme ! Rien à dire contre Aristote dans son IVe siècle av. J.C. mais comment se fait-il qu’on ait crû pouvoir tout en tirer? Réponse : parce qu’on s’est affirmé sans trembler :” Tout y est “, … c’est un invraisemblable dressage . Quel repassage peut venir à bout d’un pli si fortement marqué ?

Tyrannie du Logos et de la langue ? Il y a de ça .

Une remarque : Pourquoi, de l’Antiquité greco-romaine ce sont seulement les mots, parmi tant d’autres vestiges, qui nous paraissent les plus actuels, utiles dans nos propres mots sans changements formels radicaux (notamment comme racines étymologiques ou en citations textuelles traduites ou non) et pour beaucoup d’entre eux sans même nécessité d’une resituation dans leur contexte d’époque ? Pourquoi plus immédiatement utiles et actuels les mots que les monuments et la statuaire antique? Bien souvent termes pour termes : Platon… Sénèque… Augustin. Pourquoi premièrement les mots ? Et aussi les mathématiques antiques, lesquelles ont été certes prolongées mais jusqu’ici jamais abolies, ni ruinées (valeurs des signes abstraits en dépit des limites étroites des modes de numération grec ou latin) ? Les deux fois, des agents de prise de distance indiquant le premier grand essor du « repli réflexif ». Tout le reste, à côté, est du ressort de l’archéologie, les destructions, les guerres, les ruines sont passées dessus . A ces dommages qui laissaient intacts seulement les mots - au moins d’importants fragments de texte - , les discours de la sagesse philosophique ou religieuse, de Saint Augustin par exemple, ont ajouté une distance spirituelle supplémentaire vis à vis du corps, presque une haine du corps.

Comment Aristote et le Logos ont-ils eu raison de tout sur 24 siècles d’ Occident (¨+ les transmissions par la pensée arabe) ? Qu’est-ce qui fait croire que l’énoncé et les mots grecs d’Aristote , du IVe s av. JC, ont pu atteindre une qualité inaltérable, bons pour toujours, sans rien qui manque? Quel somnifère ou quelle cécité sont intervenus ? Comment les nommer, ces deux-là ? Théologie, Raison, Lumières … même Science (occidentale)…c’est embêtant qu’on doive en venir à retourner tout ça. Suffit sans doute d’en prendre en compte seulement la moitié et de garder la place restante pour d’autres langues que celle d’Aristote . Ce n’est pas Aristote le responsable, mais toute la suite des “édifiants édificateurs”(exemple particulièrement remarquable : la captation de l’héritage d’Aristote par St Thomas d’Aquin), tous plus édifiants les uns que les autres . “Tout y est ! » … Sauf que le “Tout y est” n’a pas eu à se battre contre une autre Raison que la nôtre, ce qui advient aujourd’hui .

La ” Mémoire culturelle ” ça a du bon, mais elle ne doit pas devenir “une oubliette” pour ce qu’elle n’ a jamais connu ou pour ce qu’elle ne sait jamais vraiment connaître qui soit autre qu’elle-même .

Choc en retour, on constate tout de même une lacune dans les commentaires sur les livres d’Aristote : rien, aucune ouverture sur ce qu’il a pu écrire ou ne pas écrire sur habillement et modes vestimentaires ; les commentateurs s’en seraient voulu de trouver et citer quoique ce soit de lui qui aurait annoncé l’importance prise par la mode ; l’homme est « un animal politique » disait Aristote, comme tel peu importe s’il est vêtu .

Patrice Hugues

 

13ème article/question - Autour des tissus du Pérou précolombien: des “tissus par excès”? Propositions de lecture 2

Vendredi 24 octobre 2008

Une autre part de données         

 (cliquez sur les images pour les agrandir)

Il y a dans les tissus du Pérou précolombien une autre part tout aussi remarquable, qui est parfaitement énigmatique, on est frappé par l’opposition entre deux principaux types de motifs, dans leur ordonnancement dans et sur le tissu et en même temps dans leur mode de tissage :

- entre d’un côté principalement en tapisserie (1 et 3) des motifs « d’ Hybrides menaçants» anthropo-zoomorphes selon des répétitivités en partie variantes, souvent sur « champ libre »,

Tapisserie enveloppant une momie - Paracas (avant 600) 275×157 cms
1 - Tapisserie enveloppant une momie - Nécropole PARACAS ( av. 600) 275 x 157 cms

- et de l’autre (2), ces rythmes combinatoires complexes avec des répétitivités très strictes des motifs, évoqués dans le précédent article, principalement le motif de l’oiseau-contraste aligamari, où le jeu du rapport motifs/intervalles prend toute son importance, dans les tissages en double étoffe et les gazes et même quelquefois dans les tissages en « tapisserie ».

L’oiseau aliqamari des sacs agricoles wayunas (pour les femmes?) (2), - aliqa ou contrastes de couleurs de son plumage - est comme motif si souvent présent le rappel de “toutes ces choses qui ne peuvent pas aller ensemble” ( exactement comme l’interdit judaïque : pas de mélange au tissage de fils de laine /”fibre animale” et de fils de lin ou chanvre /”fibre végétale”). C’est déjà l’interdit et la Loi . D’accord avec les remarques du R.P. Bertonio (XVIIe) .

Double étoffe - Chancay, vers 1000 à 1300

2 - Double étoffe , fils de coton deux couleurs - Chancay , vers 1000 à 1300 de notre ère

Cela vaut pour tant de tissus double-étoffe et toutes les répétitivités et combinatoires régulières des motifs de l’oiseau avec inversions , tête-bêches , retour …, changements de sens, retours encore, dans des rapports chocs…. une dynamique des forces vives. Tellement captivant tout ça ! (2)

Les gazes présentent, elles aussi, de remarquables ordonnancements réguliers du motif, l’ oiseau là encore très souvent. L’oiseau, motif répétitif, peut s’accommoder de têtes humaines (trophées) mais à peine repérables presque irreconnaissables : ici, comme souvent dans les “double étoffe”, on les aperçoit aux pointes de triangles d’intersections des changements de sens (v. Chancay n°1322) . Cela apparaît quelques rares fois déjà dès les gazes Paracas .

Dans la culture Paracas (- 300 à 600 ap. J.C.) il n’est pas sûr que les motifs régulateurs de « l’oiseau contraste » aient déjà vraiment coexisté avec les hybrides menaçants des tapisseries dont on enveloppait les momies des nécropoles. Sur les gazes Paracas  on a quelques exemples de motifs zoomorphes ou même anthropomorphes . Mais ce qui est sûr c’est qu’existaient déjà dans les tissus double étoffe et les gazes de la culture Paracas ces grands décors structuraux faits d’obliques changeant de sens, en « escalier », qui vont être un trait fondamental des tissages des cultures qui ont suivi pour les ordonnancements complexes des rythmes répétitifs reprenant le motif constant de l’oiseau aligamari dans les tissus double étoffe et les gazes.

Tapisserie enveloppant une momie, 230x 130 cms ,  5 couleurs des fils de trame en laine de vigogne sauvage - nécropole de Paracas, premiers siècles: avant 600

3 - Tapisserie (détail de 1) 6 couleurs de fils - Nécropole Paracas (300 av. à 600 ap. J.C.)

L’ énigme en cause ici tient à ces deux systèmes d’expression des convictions et de signes absolument contraires :

- d’un côté (1 et3) les inévitables hybrides menaçants (à têtes humaines trophées) proches des sacrifices humains pour conjurer les menaces cosmologiques, indispensables aussi pour affronter l’au-delà (tapisseries enveloppant des momies), - là on est du côté mythico-rituel et “paroxysme religieux” (note 1*) ;

- de l’autre (2) on est avec les contrastes rigoureusement ordonnés du motif de l’oiseau aliqamari (présents en réalité dans les couleurs de son plumage) qui rappellent, rythment, combinent en les opposant ” toutes ces choses qui ne peuvent pas aller ensemble”, qui ordonnent et régularisent, on est là du côté des interdits et de la loi, des fonctions sociales et d’un ordre social maîtrisé. Evidemment sans aucune hybridation.

De l’un à l’autre c’est exactement l’inverse .

Il est donc survenu un contrepoids “pacifiant”, régulateur, nécessaire, qui indique que la vie quotidienne et les travaux agricoles n’auraient pas été possibles avec seulement l’angoisse des menaces cosmiques ou même simplement météorologiques qu’expriment à l’opposé comme hors de toute maîtrise humaine les hybrides menaçants.

On ne saurait trop insister sur ces deux niveaux d’expression des convictions, présents simultanément ( sans doute dès les textiles paracas et jusqu’à la fin de l’empire Inka) : 1 - paroxysme religieux (les hybrides) - 2 -régularisation et régulation sociale (les contrastes et changement de sens générés à partir d’un motif unique et clairement lisible, en premier lieu le motif de l’oiseau aligamari). Equilibre recherché entre les deux niveaux. On pense aussi aux Calendriers qui rythmaient les travaux agricoles aussi bien que les rituels sacrificiels en rapport avec les observations astronomiques . C’est sans doute là un autre trait marquant des structures mentales des précolombiens que nous signalent les tissus et leurs motifs plus expressément encore peut-être que leurs autres modes d’expression (ex. céramiques, reliefs, fresques et même architecture).

Ce qui revient à dire que dans cet équilibre le tissage, les tissus (et leurs comptes de fils) jouaient le rôle d’ agents essentiels de civilisation . « Du tissu par excès », cela peut s’entendre tant ces cultures du Pérou précolombien ont porté d’intérêt au tissu comme à une ressource particulièrement précieuse.

Sans avoir vraiment besoin d’aller jusqu’à l’écriture pour cela . Il faut insister là-dessus davantage que sur une évolution historique qui aurait fait passer l’expression des motifs d’un «temps des hybrides » au temps ultérieur impliquant des exigences de régulation d’une société plus organisée (Chancay et empire Inca). Ces exigences s’exprimaient davantage dans les répétitivités régularisées avec le motif de “l’oiseau-contraste”. Mais les deux niveaux d’évolution ont très probablement joué ensemble, l’un et l’autre, croyances et fonctions sociales.

Patrice Hugues

Images: collections du Musée de Lima ( MNAAHP)

Cliquez sur les images pour les agrandir

________________________________
note 1* - pour ces hybrides menaçants un trait constant : tous les signes pouvant être yeux et bouches d’une face sont saisis et viennent redoubler l’hybridation par une face supplémentaire s’ajoutant à un premier étage déjà à demi anthropomorphe.C’est particulièrement visible sur les illustr. 1 et 3.

12ème article/question - Autour des tissus du Pérou précolombien: des “tissus par excès”? Propositions de lecture 1

Vendredi 24 octobre 2008

Propositions de lecture 1

Ces articles (12 ème et 13 ème articles.. ) viennent comme la suite de l”article sur les Aborigènes d’Australie (et du chapitre 2 du CahierIII). A leur sujet je proposais de parler du « tissu par défaut », car ils n’ont jamais eu de tradition de tissage. C’est tout l’inverse à propos des cultures du Pérou précolombien : on peut parler là au contraire « du tissu par excès », tant ces cultures ont porté d’intérêt au tissu comme à une ressource particulièrement précieuse. Comment ? Pourquoi ?

Premières données sur les tissus péruviens Précolombiens

Les Péruviens précolombiens (….Cultures Paracas, Nascas, … Chimu, Chancay … Quechuas de l’empire Inca) ont été de fabuleux inventeurs de tissus . Ils ont su utiliser et combiner avec un sens remarquable de la variation et de la rigueur toutes les implications spécifiques du tissage, découlant de points de départ très simples . Implications abstraites des comptages qui finalement deviennent complexes, et respect des impératifs concrets de solidité du tissu. Equilibre entre structure tissée et venue des motifs : intégration des deux poussée au plus loin. (Force d’intégration)
Les métiers à tisser des Péruviens d’époque pré-incaïque - contemporains des premiers siècles de notre ère - restaient extrêmement simples . La chaîne était montée sur des bâtons et suspendue en hauteur. A l’autre extrémité elle était liée au corps du tisserand ou de la tisserande au moyen d’une sangle . Pour disposer d’une plus grande longueur de chaîne, le tisserand se plaçait parfois dans un trou . Pas de bâti, pas de cadre non plus mais simplement des lames de levage . Largeur maximum des tissus : 75 cm, longueur : 2 à 3 m. Au Pérou les fils de chaîne étaient le plus souvent en coton, la trame souvent en fils de laine très fins de vigogne sauvage, en laine de lama, ou bien alors elle était elle-même en fils de coton .
On est stupéfait de constater à quelle variété de contexture et à quelle complexité parvenaient les tisserands ou tisserandes de l’ancien Pérou avec des moyens qui restaient d’une telle simplicité . Tissus à deux chaînes et deux trames (ou plus) : tissage en “double étoffe” . Tissage en tapisserie, gazes et tissus à jours, réseaux à l’aiguille, à points bouclés, semblables ou presque à la dentelle de Venise, réseaux à poils coupés analogues dans leur principe à nos velours…

Double étoffe, fils de coton - Ica valley,pré-incaïque
1

Le cas des tissages en “double étoffe” 1
Dans leur principe ils consistent dans le tissage superposé de deux couches de tissu et donc de croisures de fils, qui échangent de l’une à l’autre leurs positions et leurs couleurs : d’une face sur l’autre ce qui est couleur des motifs devient celle des intervalles ou fond et réciproquement. Pour les changements de position des couleurs le (ou la) tisserand(e) faisait passer les navettes de trame d’une face à l’autre en écartant à la main directement les fils de chacune des chaînes, - pour que celles-ci apparaissent à leur place à l’endroit -, sans autre agent de séparation pour déterminer le levage et sans interrompre la continuité des armures de chacune des étoffes, sans faille ni fente, aux comptes précis de fils qui le réclamaient selon le décor. Dans ces conditions le tissage en double étoffe permettait d’obtenir un décor fait de contrastes toujours surprenants et apparemment complexes en complète intégration avec la structure tissée , décor et contexture ne faisant qu’un. Des rythmes finalement simples, mais qui sont de très fortes expressions tissées, résultent de cette identité ; en même temps écarts jouant en logique opposition. A ce jeu des différences et des oppositions éprouvées dans un système structural au tissage, les gestes du (ou de la) tisserand(e) pouvaient prendre par eux-mêmes valeur symbolique, être agents d’enregistrement rituels ou symboliques dans le tissu, donner valeur de signes à ses motifs .

 

Tapisserie pré-incaïque , Coton , fils de trame laine de vigogne
2 Tissage en”Tapisserie” - époque pré-incaïque récente - coton, laine de vigogne pour les fils de trame de plusieurs couleurs, ils sont les seuls à apparaître (chaîne cachée , fils de coton)

Décors, rythmes structuraux et tissage 2
Dans les étoffes péruviennes précolombiennes, tantôt c’est le décor qui semble découler du tissage, tantôt c’est le tissage qui semble découler du décor . Dans les deux cas la contexture et le décor s’établissent étroitement l’un pour l’autre au maximum des possibilités . Les motifs, présents de façon répétitive, fréquemment assez petits - des oiseaux, des félins (des jaguars), des silhouettes, rarement des végétaux…, parfois des hybrides tout à fait émouvants d’oiseaux et de regards humains - prennent une très grande force rythmique en s’insérant dans des jeux de lignes géométriques, souvent des diagonales qui changent sans cesse de direction et acquièrent de ce fait la qualité d’une structure d’ensemble (2) . - Ces motifs, souvent placés en opposition ou tête-bêche, se combinent avec ces décors structuraux d’ensemble sans subordination des uns aux autres, mariant le grand et le petit dans des rapports-chocs qui n’engendrent ni réelle ambiguïté d’échelle ni vertige . (Force d’intégration). L’ambiguïté d’échelle et certains vertiges ne sont requis, semble-t-il, que pour être bloqués net par les jeux à retours du tissage et du décor .
On est tenté de dire que la structure générale et expressive du tissu comporte en quelque sorte dans ces conditions deux niveaux, l’un celui des croisures qui forment le tissu, dont les directions perpendiculaires semblent tout à fait élémentaires, l’autre celui du décor qui crée littéralement d’autres sens, obliques ou en diagonale .
Toute l’expression du tissu vient alors justement par différenciations volontaires de sens : orientations obliques, diagonales, s’écartant délibérément de la croisée simple . Elle repose sur la recherche d’écarts expressifs, par rapport à l’armure de base du tissu ; elle implique un travail de compte et un travail gestuel très déterminés qui s’inscrivent ainsi de façon manifeste dans le tissu. Chez les Quechuas de l’ancien Pérou tout passait avant tout par le compte, tout se passait “avant l’écriture” .
Comme dans toute intégration textile très complète, il est avant tout question de rythmes répétitifs, de différenciations quantitatives, même dans les écarts de sens minimaux qui définissent les petits motifs; il est avant tout question de comptages et de nombres.

Voilà la première part de ce qui fait la force des tissus péruviens précolombiens, au moins de ceux qui ordonnent leurs signes selon la répétitivité régulière de leurs motifs. Toujours la signification des motifs et la structure tissée s’identifient l’une à l’autre . Une grande lisibilité et en même temps de multiples sens de lecture possibles . Ils peuvent à la fois nous fasciner et nous surprendre . Tout est certes défini, construit, mais en même temps tout est mouvement communiquant . Pour autant ce ne sont pas des labyrinthes où se perdre. L’expression tissée est ici celle d’une dynamique des forces vives qui règnent dans l’univers, émouvante et communicative.

 

Patrice Hugues

Cliquez sur les images pour les agrandir

11éme article/question - Chine-Occident ? Des exemples anciens d’options de civilisation opposées (2) - Tissu et Miroir

Jeudi 21 août 2008
Chine- Occident ?
Des exemples très anciens d’options de civilisation opposées

Tissu et Miroir

Le miroir moderne, capable de donner avec le plus de fidélité et la meilleure définition, l’image réfléchie de la réalité, apparaît au XVIe siècle à Venise très probablement. Il s’agit des premiers miroirs plans composés d’une glace sans défaut, appliquée sur une feuille d’étain parfaitement dressée et moyennant 3 à 4 mm de mercure entre les deux . Cette perfection fut atteinte grâce à l’habileté des verriers de Murano . Avant, les miroirs ne pouvaient être qu’en métal poli - bronze, or, argent, acier, étain - ou alors en cristal de roche poli (miroirs cristallins).

Le moment du décalage décisif d’orientation survient alors entre Orient et Occident . La Chine n’a pas songé à renouveler le rôle du miroir au delà de ses valeurs symboliques et religieuses de départ . Les usages du miroir sont restés les mêmes depuis des temps anciens presque sans changement. Il ne s’agissait toujours que de miroir de métal poli, notamment miroirs de bronze. Liés au mythes, aux croyances, les miroirs ont servi par leurs valeurs symboliques les préceptes moraux (pureté du miroir, symbole de perfection), ils on servi les pratiques divinatoires ; on leur attribuait d’autre part un pouvoir magique .

L’Orient ne s’est pas ouvert, comme l’Occident à partir de la Renaissance, au rôle qu’allait jouer le miroir de verre dans la “réflexion”, la représentation à partir de l’image réfléchie, et dans nombreuse branches des sciences physiques . Les courants d’invention de la Chine et du Japon n’ont pas porté l’Extrême-Orient vers le verre. La Chine n’a guère pratiqué les matières vitrées transparentes : la porcelaine en est très proche certes mais elle cherche plus à être subtilement translucide, non pas à être transparente . Dans la tradition chinoise jamais le verre n’est venu garnir les ouvertures des maisons, à la place le papier huilé .

Pour la Chine, le miroir, comme presque tout, restait attaché au pouvoir des symboles. Alors que pour l’Occident le pouvoir des symboles devenait partiellement caduc devant les progrès de la raison réflexive. Cette opposition d’orientation rejoint et souligne la différence surgie des circonstances et des évolutions historiques désormais de plus en plus divergentes .

Maintenant considérons la peinture et la vision des peintres . Celles de la Chine (ou du Japon) et celles des peintres d’Occident . Le plus important dans cette comparaison des figurations peintes de l’effet de miroir, l’indice décisif des options de civilisation opposées entre l’Orient-extrême et l’Occident, c’est le sort fait aux reflets dans ce qui peut être considéré comme des miroirs naturels, la surface des eaux tranquilles . Dès qu’il en apparaît une dans un tableau de la peinture occidentale, - cours d’eau calmes, lacs, bassins -, alors y figure immanquablement le reflet aussi parfait que possible, l’image réfléchie de toute réalité qui la surplombe, jusque dans ses moindres détails . A plus forte raison en est-il ainsi s’il s’agit d’un surplomb immense comme celui d’une montagne.

Les aplombs rocheux et montagneux au dessus d’un lac ou d’une rivière tranquille ne manquent pas dans les peintures sur soie (ou sur papier) de la Chine (et du Japon) . J’y ai cherché, sans jamais la trouver jusqu’ici, la figuration de leur image réfléchie dans l’eau. Je remarque que ceci vaut - comme indice parfaitement significatif des options de la civilisation chinoise – déjà pour des peintures sur soie ou sur papier même bien antérieures à la période des grandes divergences Orient-Occident, bien antérieures au XVIe siècle (dès le Xe siècle) .

A la place on trouvera bien souvent au flanc des corniches rocheuses ou glissant sur les eaux, des nuages allongés ou des nappes de brume et de brouillard qui jouent la liaison entre l’eau, la terre et le ciel d’une façon évidemment tout à fait opposée à celle des reflets : quelle image réfléchie peut captiver l’imagination du peintre s’il est hanté par les pouvoirs de suggestion voilée des nuages et des brumes entre ciel et terre ? A la place de la réflexion la voie chinoise est la recherche des transformations de la vie en harmonie avec l’ensemble immanent du réel.

Le Miroir est certainement l’un des paradigmes majeurs de l’Occident et le Tissu l’un des paradigmes majeurs de la Chine.

Patrice Hugues

Additif : Aujourd’hui qu’en est-il ?

Deux images

1) - Marc Riboud photographie dans le sud-ouest de la Chine ce paysage d’une vaste étendue d’eau tranquille : pas un reflet ne manque des montagnes qui la surplpmbent au loin ni du batiment ancien au premier plan . Optique d’origine occidentale de l’appareil photographique . C’est beau mais doit-on appeler cette image ” une Chinoiserie d’Occidental “, comme on l’aurait qualifiée au XVIIIe siècle ?

2) - Ici Hu Jen Min Pao, le Président Chinois, reçoit à Pékin, avant les J.O. Manuel Barroso et l’Europe au pied d’une vaste peinture d’un artiste chinois ( sans doute officiel) : il y a les masses écrasantes d’immenses rochers tout à fait “chinois” , et sur l’étroite base qui leur est réservée les reflets de ces masses rocheuses , reflets bien plus occidentaux que les reliefs ; comme sont occidentaux les costumes deux pièces ajustés et sombres portés par toutes les personnalités , est et ouest confondus, il n’y a pas de mot chinois pour désigner ce type de vêtements, il est appelé “costume d’occident ” .

Ce qu’ont lit là c’est la composition Chine /Occident actuellement en cours, ici à l’oeuvre sans du tout qu’on puisse dire que l’un gagne encore sur l’autre.

Cliquez sur les images pour les agrandir

1divers à reclasser 002

2Orient Occident 011

10éme article/question : Chine-Occident ? - Des exemples très anciens d’options de civilisation opposées (1) - Trame et chaîne - Tissage et Ecriture

Jeudi 21 août 2008
Chine- Occident ?
Trame et chaîne - Tissage et Ecriture
Des exemples très anciens d’options de civilisation opposées ?
(1)
Trame et chaîne

 

 

Dans les plus anciennes soieries chinoises (1), déjà avant l’empire des Han, les différentes couleurs de tout le décor, motifs et intervalles, viennent uniquement des fils de la chaîne, on dira plutôt des chaînes : soit à l’ourdissage de la chaîne, répartition dans toute sa largeur, la largeur du futur tissu, de zones de fils de ces différentes couleurs (jusqu’à cinq souvent) qui apparaissent très nettement, une fois le tissage accompli, comme des bandes, du jaune, du vert, du rouge, du blanc dans les motifs, du bleu dans les intervalles entre les motifs (ce qu’on appelle par paresse de lecture du tissage, le fond) . Et cette répartition en zones de fils de couleurs différentes dans toute la largeur de la chaîne équivaut à une programmation définitive des bases de toute la polychromie du tissu, établie avant même le jeu des croisures avec les fils de trame . La chaîne prime la trame et de loin dans les soieries chinoises à décor polychrome complexe depuis l’époque des Han (et jusqu’aux Tang); et c’est le sens de la longueur de la pièce de tissu, de son déroulement et, employée en vêtement, le sens de son tomber, soit la verticale . (fils de trame cachés). Image langage du tissu A2

 

Cliquez sur les images pour les agrandir

Dans les soieries byzantines ou syriennes (2) qui peuvent être du VI éme siècle ou de plus tard les différentes couleurs de tout le décor, motifs et intervalles, viennent, à l’inverse, uniquement par les fils de trame (fils de chaîne cachés): soit pour chaque “duite” (ou traversée entière de la chaîne par la trame dans toute la largeur de l’étoffe) par le lancé d’un ou, comme ici, par le lancé de plusieurs fils de trame de couleurs différentes successivement, qui vont constituer cette duite dans le sens horizontal. On dira alors par exemple s’il y a 5 couleurs de fils qu’il s’agit d’un samit à “5 lats de lancé” . Il n’ y a pas ici programmation une fois pour toute des bases de la polychromie par la chaîne. La trame prime la chaîne, et de loin, et il en sera ainsi pour tous les tissages d’Occident, du bassin méditerranéen jusqu’à la Perse, jusqu’aux XIé -XIIé siècles, époque à laquelle les termes opposés en tissage, ceux de l’est et ceux de l’ouest, seront brassés ensemble avec les avancées mongoles et les croisades .

2

Image Langage du tissu B

Tissage et écriture

Pour la Chine à ces époques, au moins pour les soieries les plus prestigieuses et les plus complexes, les fils de couleurs viennent donc tous par la chaîne. Pour toute la pièce d’étoffe, le jeu des fils de couleurs et donc toutes les couleurs apparaîtront dans le sens vertical de son tomber. Au contraire pour la Perse, la Syrie, Byzance – c’est à dire l’Occident ou « l’étranger » » vus de la Chine - jusqu’aux XIIè-XIIIé siècles environ, les fils de couleurs interviennent tous uniquement par la trame, dans le sens horizontal, amenés successivement par des navettes chargées de fils des différentes couleurs . Le fait remarquable est que cette opposition est en étonnante parenté avec les sens opposés des écritures . Pour la Chine, écriture traditionnelle dans le sens vertical (au moins depuis le VIIIè siècle av.J.C. et peut-être même dès le roi Wen vers –1000 av. J.C.) d’abord sur plaquettes de bambou puis aussi sur soie aux époques considérées ici et bientôt aussi sur papier . Alors que toutes les écritures de l’occident, et cette fois bien au delà de l’orient méditerranéen, donc y compris les écritures grecque, latine, hébraïque, arabe, sont des écritures horizontales (seules exceptions: une part de l’écriture sacrée de l’Egypte pharaonique et certaines écritures cunéiformes – Ougarit/Ras Shamras). De cette double opposition concernant les tissages et le sens des écritures, née d’une cogestation dans la durée, on retient l’indication d’options fondamentales de civilisation radicalement différentes, entre ces deux mondes anciens, qui se retrouvent encore en partie, au moins pour l’écriture, entre Chine et Occident, aujourd’hui.

On peut admettre que la prédominance de la chaîne dans le tissage des soieries de la Chine ancienne a la même origine que le sens vertical de l’écriture chinoise classique . Le Yi-King (ou Livre des Mutations), qui est pour les Chinois l’équivalent de la Bible pour nous, indique que toute l’initiative vient de Quian – le ciel, qui est yang et à qui s’apparente la chaîne(jing), initiative que doit suivre la trame (wei) comme Kun-la Terre qui est yin, dans son aptitude à s’y conformer, suit le Ciel.

Wen jpg
Le rapport entre tissage et écriture se trouve présent et bien établi dans l’un des plus anciens idéogrammes, le caractère Wen, qui rappelle le rôle du roi Wen, le fondateur de la dynastie des Zhou ou Tchéou occidentaux , au tout début du 1er millénaire av. J.C . Ce caractère Wen est venu très probablement des bigarrures des pelages et plumages ou des traces des pattes des oiseaux et des animaux. Figuration d’un entrecroisement comme le signe du tissage, il va bientôt désigner la notion de littérature et même de texte, de même qu’il a servi à désigner les soieries chatoyantes à motifs polychromes . Mais il a d’abord été l’idéogramme du roi Wen dont il est dit dans le Zuozhan (entre - 400 et -300) : « …intégrant en lui, l’ordre du Ciel et de la Terre…il est le caractère Wen accompli … recourant au Ciel et à la Terre comme à la chaîne et à la trame ( de son caractère), c’est ainsi qu’on appelle l’aspect wen accompli (de sa nature individuelle) … En prenant le Ciel comme chaîne, en prenant la Terre comme trame, si la chaîne et la trame n’ont aucune irrégularité, le Wen est alors représenté ». On croirait presque lire Platon dans le Politique (Platon et le Zuozhuan sont d’ailleurs contemporains).
Au départ tissage et idéogrammes allaient au même pas .

Sur cet article et le suivant voir surtout : François JULLIEN, La valeur allusive (thèse de doctorat d’Etat –1985) et Figures de l’immanence ( pour une lecture Philosophique du Yi king) 1993 .

Patrice Hugues

9ème article/question - Surnaturel et Stylisation?

Dimanche 17 août 2008

Surnaturel et Stylisation

Deux exemples de mots dont l’emploi conduit à deux dérives de la pensée . Le « surnaturel » au sens strict veut dire : qui ne s’explique pas par des causes naturelles perceptibles , ni par des relations de cause à effet clairement lisibles dans la réalité immédiate. Aucune entité métaphysique n’est impliquée, cependant l’emploi courant substitue automatiquement à la définition première la notion d’une telle entité métaphysique derrière le mot surnaturel, sans nécessité , alors qu’il suffit de rapporter ce qui est appelé phénomènes surnaturels à tout ce qui n’était pas ou n’est pas accessible à la connaissance et pas non plus à la conscience intuitive claire du réel, en somme à tout ce qui n’est pas maîtrisée par la conscience. L’inconscient n’est pas loin de ça sauf qu’il est reconnu existant de fait parmi les encours humains naturels, faisant partie de la nature humaine . Pour les sociétés anciennes le mot « surnaturel » employé pour désigner les forces, les esprits, les êtres qui naissent d’une immersion purement existentielle dans le réel et sont à l’origine de leurs croyances, rites et mythes, sans aucune forme de pensée métaphysique, ce mot doit pouvoir être remplacé par “communicant avec l’inconnu » dans l’homme, dans son environnement et dans son rapport à celui-ci ; lequel rapport s’avère progressivement tout fait de réalités naturelles. Mais 30 à 40 siècles de repli réflexif ont mené à cette dérive qui veut que “surnaturel » veuille dire pour tout le monde « dû à une intervention mystérieuse divine ou mythique, ou d’autres mondes non naturels » . Même Cl. Lévi-Strauss emploie le mot « surnaturel » sans prendre soin de rétrécir son sens à sa juste dimension de « communicant avec l’inconnu » avec toutes les incursions et innovations créatrices que cela promet .
Il y a un non-sens du même genre à propos de l’emploi que Cl. Lévi-Strauss fait du mot « stylisé » pour qualifier la principale différence entre les créations visuelles des sociétés archaïques et celles de nos civilisations : ces créations, dit-il, sont « entièrement stylisées » alors que celles de nos civilisations sont plus soucieuses et respectueuses d’une ressemblance avec la réalité telle que nous la percevons (cf.la Mimésis d’Aristote : ressemblance/imitation vis-à-vis de la réalité et respect de sa valeur « objective ») .

L’acception courante est que stylisation veut dire : simplification et géométrisation des formes permettant d’aller vers le décoratif. Lévi-Strauss, qu’il le veuille ou non, véhicule nécessairement cette réduction péjorative au décoratif quand il l’applique par exemple aux créations des peuples indiens de l’Amérique du nord-ouest jusqu’à la rive du Pacifique ( ex. : Colombie Britannique et Etat de Washington) . Alors qu’il est question de tout autre chose, de mythes et de rites « en transformation » selon lesquelles se trouvent structurés les croyances , les parentés, les groupes de peuples . Et cela peut aller jusqu’à établir modèles et conventions à la base d’une tradition. C’est bien tout ce que Cl. Lévi-Strauss nous expose avec la plus grande précision. Il s’agit toujours de la recherche d’une forme de communication avec « d’autres mondes » (chamanisme), avec l’au-delà du visible et du connu. Ces modes «en transformations réciproques » d’un peuple à l’autre sont dans la nature du fonctionnement des groupes humains . On est aussi loin du décoratif dans ces œuvres visuelles que d’un « surnaturel » transcendant ou métaphysique . Il est plus opportun de parler d’un « entre-deux » entre peuples et milieux naturels.

Si bien qu’on est amené à trouver attelées ensemble les deux dérives - Surnaturel et Stylisation - comme deux voies d’erreur, deux voies d’inconséquence dans notre approche des civilisations et des cultures qui nous sont étrangères ; deux projections également erronées complètement déplacées et inappropriées de nos façons de voir et de penser reportées sur ces civilisations qu’il s’agit de reconnaître pour ce qu’elles sont effectivement et non pas de les recadrer selon nos mesures . Attelées ensemble, ces deux notions - Surnaturel et Stylisation - , pourtant on les croirait d’ordinaire étrangères l’une à l’autre . Cela veut dire quoi ? Qu’il y a un défaut dans l’armure des mots .

 

 

Brancusi 004Brancusi 013
Deux masques Kwiatkiutl – Colombie Britannique
Tirés de « la Voie des Masques »
de Cl. Lévi-Strauss

L’Art tel qu’il se définit aujourd’hui est une forme de chamanisme moderne - une crypto-religion » - ; il ne veut pas s’avouer qu’il est juste la pratique sous couvert « d’esthétique » de l’incursion créatrice dans le domaine du non connu, en communication sensible avec un entre-deux, entre connu et inconnu, qualifié trop souvent et abusivement de “surnaturel”, pour rendre visible et dicible un inconnu tout à fait réel, qui n’est ni métaphysique ni transcendant. mais relève exclusivement des exigences de la conscience et de la sensibilité humaines à leur niveau d’intégration le plus élevé. Comme Beuyes ou Mathew Barney ( et Bjôrk), Jan Favre, Jeff Koon, Damien Hirst ne sont-ils pas à prendre comme des chamanes ? L’inconscient comme le supposé besoin de transcendance corespondent au même fonctionnement : la projection ou la plongée vers l’inconnu et tous deux sont également dans le champ du chamanisme (ça vaut pour la religion monothéiste ou pur les psy ) .

Additif : Cette dernière remarque/question qui semble prétendre à une portée générale retient à part l’œuvre de Brancusi qui s’est construite pas loin de la « voie des masques » : stylisée, peut-on dire, et parfois inclinant vers le « décoratif » - sans jamais y verser, ce qui fait réfléchir-, mais n‘impliquant jamais l’ aberrante recherche d’un surnaturel transcendant, lui, Bancusi, restant toujours très proche des valeurs d’expression trouvées, ailleurs que dans la représentation imitative, dans les exigences profondes de la sensibilité et de la conscience humaines naturelles . On ne peut pas dire si nettement cela même de Picasso au-delà des Demoiselles d’Avignon. Ce commentaire est pour moi indépendant de la valeur qu’on peut attribuer à l’oeuvre de Brancusi .       Patrice Hugues

Brancusi 007Brancusi – Danaïde
et
Muse endormie

Brancusi oo4jpeg

 

 

 

 

 

 

 

 

8 ème article/question - Le Tissu et l’entre-deux (2)

Mercredi 2 juillet 2008

 

Voici le huitième article proposé, il est intitulé “Le Tissu et l’Entre-deux (2)”. Comme pour chacun de ceux que vous avez reçus précédemment, votre avis, votre commentaire, que vous pouvez taper dans le cadre « commentaire » à la fin de l’article, aura pour moi le plus grand intérêt . Surtout si quelque chose vous intrigue, vous arrête, doit être complété ou même vous paraît inacceptable .

Merci donc de votre commentaire .

Le Tissu et l’Entre-deux (2)

Le Tissu, l’objet matériel, physique qu’est le tissu sert, accompagne, épaule, certains de nos fonctionnements entre-deux les plus décisifs; ne s’y substitue pas pour autant, mais, les modélisant, à sa manière les aide. Ce besoin qu’il sert, est un besoin psychique intime ; tout en restant dans le monde concret des objets (objet-transitionnel, objet-médiation, objet entre-deux).
Cette relation au tissu correspond aussi à un besoin profond de matérialiser pour soi, l’état de milieu qui est le nôtre, de trouver quoi tenir, quoi toucher qui ait ce pouvoir spécifique de nous faire ressentir, confusément ou clairement, mais de façon immédiate, notre état qui est fini et touche cependant à l’infini. Le tissu opère dans l’entre-deux, entre le vivant et l’illimité.
La réalité souple mais solide du tissu, faite de fils croisés de chaîne et de trame ou de mailles, peut se déplier, se replier, avoir toutes les dimensions, s’étendre ou bien se ramasser en quelques replis rapides, comprendre des signes mêlés au mouvement, qui se mêlent aux gestes, à l’espace, à la parole . Il est presque toujours là, entre nous, au milieu.. Concrètement et métaphoriquement, le tissu est une réalité qui appartient à “l’état de milieu”.
- A son contact au plus près de notre être, à tout instant ou presque de notre vie quotidienne, nous nous acheminons aisément en cet état. Cela peut être inconsciemment. Mais nous pouvons aussi bien l’éprouver sensiblement et même le penser. Notre état est bien cet “état de milieu”, tel que le définissait Pascal et le tissu sert cet état de milieu de multiples façons.
Le tissu est ce “passeur” en contact direct avec notre corps, qui intervient à la limite entre objet interne et objet externe, entre dehors et dedans, pour l’unité de soi, entre désir et pensée, entre le charnel et le spirituel, comme entre le masculin et le féminin. Le tissu, dit-on, sert d’abord le corps, dans toutes ses fonctions vestimentaires y compris dans ses fonctions les plus charnelles, mais il sert aussi l’esprit unissant l’un à l’autre dans bien des liturgies, bien des cérémonies et symboles.
- Le tissu combine en lui même ce que l’on considère habituellement comme des niveaux distincts de l’application créatrice humaine. Le sensible du touchable, les fonctions que le tissu remplit au contact immédiat de notre corps, - voilà le premier niveau . Mais d’autre part la structure tissée, les signes qui s’y inscrivent selon des combinaisons numériques rigoureusement comptées, voilà un second niveau qui relève bien plus de différents processus d’abstraction, et se situe au plus près du mental et de l’intelligible . Dans le tissu les deux niveaux ne peuvent être dissociés. Il ne peut être question de qualifier l’un de niveau d’en haut, de niveau supérieur, l’autre de niveau d’en bas, niveau inférieur. A cette unité des deux tient sa valeur d’objet spécifique, sa valeur modélisatrice. - Le tissu vaut très spécifiquement comme suggestion et modèle d’un rapport entre objet et pensée, entre le sensible et l’intelligible.
- Le tissu nous fournit l’un des modèles les plus sûrs pour vivre le mieux cet entre-deux : en tant que “système souple” de fonctionnement dans le relatif, autant que la vie le veut . La vie se passe dans l’entre-deux, la vie est faite de l’entre-deux, entre naissance et mort, « des langes au linceul ». Nous en sommes venus au temps de “l’entre-deux”, temps qui demande que nous sachions être aussi bien d’un côté et de l’autre du voile; un temps où le principal du mystère est dans cette transgression-rencontre, elle-même entre-deux, et non plus dans ce qui serait caché derrière le voile ? Tout le mystère et le sacré d’aujourd’hui ne se placent-ils pas dans l’entre-deux de la vie ? Entre la conscience et le vivant ?

Transgression ou passage de l’entre-deux ?
Le tissu peut être entendu comme un agent des transgressions dont nous avons le plus grand besoin désormais, et peut-être d’abord de celle qui consiste à voir, percevoir, ressentir la présence des êtres, en se plaçant des deux côtés du voile, nous faisant vivre ce que nous sommes des deux côtés du voile, comme un passeur de l’entre-deux. Voiles et tissus incitent aux transgressions mais ils sont en même temps facteurs d’intégration entre deux.

Aujourd’hui il est possible et nécessaire de se placer « des deux côtés du voile », la formule prise ici au figuré veut dire quoi ? C’est aussi bien vivre de façon vraiment intégrée du côté du biologique et du côté de la conscience, vivre le substrat biologique de cette conscience et la conscience elle-même ; du côté du corps, du désir, du sexe et aussi bien du côté de l’esprit et de la pensée .
On le trouvera bien un jour scientifiquement le passage quasi direct de l’un à l’autre corps-nerf-cerveau et conscience-sexe, sans repli réflexif valant rupture de registre. Tant qu’on ne l’aura pas trouvé ce passage corps-nerf-cerveau et conscience-sexe, le tissu-voile restera une bonne incitation à le chercher, à s’en faire un modèle : « la chose entre-deux ». Pourquoi le voile resterait-t-il partagé en deux rôles, d’un côté le féminin et ce qu’il voit du masculin, et de l’autre côté le masculin et ce qu’il ne voit pas du féminin ? C’est un paradoxe, un effet de seuil artificiel, mieux vaudrait la transgression et qu’il intervienne réellement entre-deux. La gageure de la parité n’en serait plus une . Ce propos est à peine une utopie. (v. sur le présent site Cahier III chap.9 -Des façons de penser et chap. 11 - Mœurs)

Toucher - entre-deux - tissu. - Nous n’avons pas de vraie représentation de toute la réalité interne/externe de notre toucher. Le toucher reste donc établi dans cette zone intermédiaire, entre-deux, qui est aussi celle où opère le tissu se superposant intimement à la peau. Reste donc cette zone intermédiaire - on peut dire indécidable - qui n’est ni la conscience clairvoyante, ni l’absence de perceptions interoceptives, où beaucoup de notre vie et de notre être se joue en complète intégration organique. Tout y est latent.
Tissu - tout cela doit être ressenti dans une compréhension de la réalité qui place la vie humaine dans l’entre-deux, dans un sentiment de la réalité qui doit se soutenir et peut trouver son soutien dans tout objet concret tel le tissu, qui établit le passage entre-deux - ou au moins le suggère -, qui peut être tenu en main, touché, d’abord par le sujet et qui mette en rapport nos perceptions les plus immédiates et l’immense (par ses déploiements), ou l’innombrable cependant discernable (de ses motifs, de ses fils, de leurs croisures, et de leurs itérations à l’infini).

Patrice Hugues

7 ème article/question Le tissu et l’entre-deux (1)

Mardi 13 mai 2008

LE GRAND INTERÊT DES POUVOIRS AMBIVALENTS DU TISSU

L’unité du tissu s’ouvre toujours sur des ambivalences. Ses caractères les plus spécifiques ont tous leur point d’attache dans l’un ou l’autre de ses pouvoirs ambivalents.

Des exemples sur une longue liste de ces ambivalences du tissu :

- Et celle de l’envers valant l’endroit . 1

- Et celle de l’intervalle valant le motif . 2

- Et celle du tissu parlant du dedans et au dehors .

- Et celle d’être à la fois à soi et aux autres .

- Et celle qui associe la rigueur de sa structure tissée à l’imprévisible de ses plis. 3

- Et celle des échelles multiples et de l’ambiguïté d’échelle si souvent présentes dans le tissu . 4

- Et celle du tissu au plus près de notre être, au contact de notre peau, mais se déployant comme dans l’illimité, suggérant l’immense, l’infini ; entre limité et illimité.

- Et celle d’être en correspondance avec le vivant tout en étant simple chose inanimée .

- Et celle de pouvoir jouer son rôle entre sujet et objet .

- Et celle d’être chose psychique et en même temps chose de civilisation . 13

- Et celle d’avoir toujours un mode d’existence double, tantôt méprisée, tantôt sublimée . 5

- Et celle de pouvoir être souillé, sale, d’une saleté repoussante, puis entièrement propre et de nouveau de la plus grande fraîcheur . 9

- Et celle d’être autant pour la femme et pour l’homme, mixte en somme .

- Et celle d’être à la fois continuité et discontinuité; entre analogique et numérique . 6 .

- Et celle d’être entre la forme et le nombre . 11

- Et celle d’être chose abstraite - comptes complexes, touchant au mental - et en même temps chose des plus concrètes, à toucher et à voir; entre le sensible et l’intelligible ou “sensible pour l’esprit” . 12

- Et celle donc d’intervenir entre le corps et l’esprit pour l’unité de l’être .

- Et celle d’intervenir entre soi et autrui, entre l’individuel et le collectif, dans le milieu .

- Et celle de valoir à l’enfant un passage vers le monde : - tissus des embrassements maternels et tissus transitionnels.

- Au total, d’être un passeur . 14

 

Quelques commentaires

1 - Dans ses fonctions, le tissu n’a pas d’envers nul, l’envers vaut l’endroit (à la différence du miroir), en deux rôles cependant bien distincts l’un de l’autre (à la différence du verre dont la transparence mêle les faces) .Et c’est l’envers du tissu que nous vivons au plus près.

2 - Les motifs et les intervalles ont la même valeur tissée dans les rythmes de son décor. Ils « se retirent », « se déduisent » les uns des autres, comme l’envers de l’endroit, si bien que le tissu se prête à des lectures inversées et qu’en toute zone de sa surface valent des virtualités multiples qui sont autant d’incitations à le parcourir, à le vivre en tout sens. C’est vrai même d’un simple tissu « prince de Galles » ou « pieds-de-poule ».

3 - Dans le tissu, il y a d’une part la rigueur et d’autre part, à l’opposé, l’imprévisible. Le tissu se définit par la rigueur du compte de ses fils en trame et en chaîne, il se constitue à partir des modes de croisure de ceux-ci (ou “armures”) selon une combinatoire chiffrée rigoureuse et programmée, mais ceci donne au final l’inverse de la rigueur : dans les plis imprévisibles qui se forment à chaque mouvement et selon chacun de ses positionnements. Non mesurables, ces plis se dérobent à toute rigueur, du moins pour notre perception immédiate (et de même pour la géométrie classique) .

4 - Le tissu nous fait vivre en parfaite ambiguïté d’échelle. Le tissu est à la fois à l’échelle de ses unités minimales, les croisures de fils, à l’échelle de ses innombrables motifs de petite taille quand il en comporte ; à l’échelle aussi de ses grands motifs qui parfois comprennent en eux de plus petits motifs sans pour autant les assujettir à leur échelle (autrement dit sans que ces petits motifs perdent leur autonomie et deviennent seulement des détails des grands motifs) ; à l’échelle enfin du déploiement de la pièce d’étoffe tout entière qui, dans sa continuité, son mouvement, ses plis et ses replis, suggère la plus grande ampleur, évoque l’immense, touche à l’immense et à l’illimité.

5 - Le tissu a une existence double, l’une méprisée, l’autre sublimée. Depuis la Renaissance et les siècles baroques, là-dessus le mystère a régné en Occident. Mystère qui d’un côté vouait le tissu au peu du corps, à de triviales fonctions concrètes au service du corps, le livrait aux mains des femmes, tandis qu’il perdait peu à peu sa place dans l’esprit des hommes ; en fait cessant bientôt d’être considéré, parce que l’esprit masculin, qui voulait tout définir alors, restait en but à cet imprévisible du tissu. Mais Mystère aussi du côté de la transcendance : le tissu, délaissé par la raison parce qu’indéfinissable et par trop imprévisible, était libre d’emploi précisément pour exprimer l’indicible, le surnaturel, les amplifications pathétiques dans les représentations peintes ou sculptées.

6 - Continuité, et discontinuité : l’existence concrète du tissu tient à l’une et à l’autre inséparablement(comme elle tient au nombre et en même temps à la forme). Rien ne nous donne aussi bien qu’une pièce d’étoffe, avant qu’elle ne soit coupée, le sentiment de la continuité : sous nos doigts qui la touchent et pour notre regard qui peut porter loin quand elle est déployée. Mais de près nous touchons et voyons des croisures de fils, des unités, elles, discontinues ; chaque fil se distingue des autres fils et chaque croisure constitue un module à part. Existe-t-il une autre réalité dont la structure puisse ainsi s’appréhender d’ensemble, comme cohérente, et en même temps être perceptible, aussi distinctement, par nos sens dans ses unités minimales ?

9 - Le tissu peut apparaître comme juste “avant le chiffon”, voué à recueillir éventuellement toutes les sanies du corps, il peut être d’une repoussante saleté . Mais il peut avant cela être de la plus totale propreté et redevenir entièrement propre après, voire de la plus éclatante blancheur, d’une totale fraîcheur. Prêt pour tous les charmes et toutes les solennités ; ou plus simplement pour le bien-être et l’agrément de pouvoir changer de linge .

10 - Le tissu est à retenir pour tous les services par ambivalence qu’il nous rend. “Reliant-mixte” parce qu’il est dans sa nature d’être absolument mixte, autant pour la femme et pour l’homme ; favorisant la communication entre les êtres parce qu’il se place et trouve naturellement son expression dans “l’entre-deux” ; aidant notre vie de la naissance à la mort parce qu’il l’accompagne à chaque moment, et à chaque moment nous aide à vivre cet “état de milieu” qui est fondamentalement le nôtre .

11 - Le tissu tient pour une part à la forme mais il tient aussi au nombre, par le compte de ses fils, de ses croisures et leur propagation rythmique selon une combinatoire entièrement numérisée; par cette part de lui-même il met naturellement la forme en cause . La forme corporelle c’est la continuité dans le fini, le nombre cela peut être la discontinuité et l’infini . Le tissu retient la forme du corps, mais il déborde celle-ci vers l’illimité parce qu’il est nombre .

12 - La réalité du tissu est abstraite, touchant au mental par le fait de sa structure “numérisée” et de ses rigueurs exactement comptées, elle est en même temps on ne peut plus concrète, à voir et encore plus à toucher, on ne peut plus près du corps, presque charnelle .

13 - Il est à la fois “chose psychique” pour l’individu et “chose de civilisation” .

14 - A la limite où il se place, il aide l’expression la plus intime de nous-mêmes et en même temps la communication : le tissu est un” passeur”

Etonnante association dans l’unité du tissu, dans le croisement de ses fils de chaîne avec ses fils de trame de tant de doubles pouvoirs et de tant d’aptitudes apparemment contradictoires ! Cela vaut pour tout “l’entre-deux” de la vie : entre corps et esprit, entre naissance et mort ?

Patrice Hugues

6ème article/question -Le Tissu et les mystères de la conscience

Jeudi 17 avril 2008

 

Voici le sixième article proposé, il est intitulé “Le Tissu et les mystères de la Conscience”. Comme pour chacun de ceux que vous avez reçus précédemment, votre avis, votre commentaire, que vous pouvez taper dans le cadre « commentaire » à la fin de l’article, aura pour moi le plus grand intérêt . Surtout si quelque chose vous intrigue, vous arrête, doit être complété ou même vous paraît inacceptable .

Merci donc de votre commentaire .

LE TISSU ET LES MYSTERES DE LA CONSCIENCE ?

Pourquoi cette approche de la conscience par le biais du tissu ? C’est qu’il s’agit de trouver le passage, désormais indispensable, entre ces mystères de la conscience et les réalités du vivant, autrement dit entre ce qui est la réalité biologique incontournable de notre être et ce qu’on retient comme le moins réductible à cette réalité biologique, la conscience . Le tissu occupe la position d’un trait d’union, d’une continuité possibles entre les deux . Il fonctionne, il intervient, à condition qu’on y prenne garde, comme une médiation de l’une à l’autre : le tissu est chose physique et chose psychique, les deux à la fois, si près de notre être, si près des tissus biologiques qui constituent intégralement celui-ci.
Mais le difficile est de trouver la juste distance de ce rapport, de rester dans la proximité constante des deux, que l’on distingue trop habituellement et à tort comme étant d’un côté le corps et de l’autre l’esprit . Le tissu se place presque toujours et fonctionne dans ce juste rapport de contact : comme le tissu touche le corps qu’il revêt, il enveloppe la conscience comme à la toucher . Le plus difficile est de rester constamment dans le contact entre ce qui est seulement représentation et pensée et ce qui est l’ensemble des circulations, des flux organiques, dans le rapport d’ensemble interne et externe au réel qui est notre vie . Le plus important se passe d’abord dans le contact du tissu et de notre peau . Le tissu aide à prolonger ce contact dans l’exploration de ces deux faces du vivant humain, lequelles assurément ne font qu’un, comme ne font qu’un “les mystères” de la conscience et la vie de nos sens.

Souvent les observations et réflexions proposées semblent perdre ce contact . Mais sans cesse les passages du tissu s’offrent pour le retrouver, relié, continu . Parce que c’est dans la nature même des tissus d’intervenir ainsi ; c’est justement cette continuité entre la conscience et le vivant que les tissus permettent de ressentir profondément .
Cela peut mener à s’en prendre aux mots en bien des passages de ce genre, c’est inévitable. En effet c’est entre les mots et d’autre part les choses, les corps, les objets, les tissus … que la partie ici est engagée .

Il y a un fait dont on doit prendre garde  à la limite de nos sens et qui rend compte en partie de ces « mystères » de la conscience . Notre conscience ne perçoit de façon précise et fine que les sensations des zones périphériques de notre corps, c’est vrai de toute notre peau et des organes de nos sens, bien davantage tournés vers l’extérieur que vers l’intérieur, seule la conscience elle-même peut se percevoir comme intérieure ; de l’intérieur de notre corps nos sensations intéroceptives restent le plus souvent inexplicites, assez frustes et sommaires et notre conscience n’a pas, la plupart du temps, le pouvoir d’agir de façon  déterminante  et directe sur cet intérieur du corps ; sauf recours à des techniques très particulières de maîtrise de celui-ci , telle le yoga .  Je cite un exemple de maîtrise indirecte moyennant le recours à un tissu, à une serviette de table par exemple : dans la douleur d’une opération chirurgicale au bas-ventre, saisir cette serviette, la rouler, la tordre en tout sens avec le maximum de force et de pression des mains et des bras, a pu prévenir et atténuer les spasmes réflexes qui marquent le plus fort de cette douleur.

En Occident on a depuis longtemps considéré le tissu avec une étonnante méfiance : vivant complètement séparés les tissus de nos sens et les tissus de nos représentations, ou bien on a éprouvé qu’ils pouvaient retenir dans leurs plis et dans les rythmes de leurs motifs quelques mystères cachés et troublants, ou bien, pour écarter ce trouble, on a voulu les laisser dans l’insignifiance et les tenir pour rien, au plus bas . En fait “ces mystères en eux cachés” sont avec les mystères de la conscience dans la plus étroite parenté . La place que l’Orient fait depuis toujours aux tissus est bien différente : le tissu y est vécu bien plus dans sa fonction d’entre-deux . Les deux approches ont chacune leurs justifications qui correspondent à des options fondamentales de civilisation, presque opposées, d’un côté et de l’autre. Aujourd’hui il n’est pas dit qu’elles ne puissent composer ensemble - ce qui à bien des égards est tout à fait souhaitable - et qu’il reste dans les tissus des “mystères cachés”, des attributions, des estimations de ces attributions séparées voire opposées, étant donné que la fonction d’entre-deux, de trait d’union est ressentie de plus en plus comme une nécessité en bien des domaines devenus désormais l’affaire du monde entier .

Patrice Hugues

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5ème Article - Cycles de civilisation et métamorphoses de l’évolution

Dimanche 23 mars 2008

 Lire l’enchaînement des cycles de civilisation et les métamorphoses de l’évolution


Cet article-ci fait suite à celui que vous avez déjà reçu intitulé « le Temps des hybrides » (v. le1er article /question), cette fois encore les bases de la discussion se trouvent aux chapitres 1 et 8 du Cahier III . Dragons et Anges sont ici ce qui nous occupe. Quelle continuité entre les restes des dinosaures et les dragons des légendes ou les Anges de nos croyances ?

Pour résumer cela nous mène des dinosaures jusqu’aux tapisseries de l’Apocalypse d’Angers, soit de – 65 millions d’années au minimum jusqu’aux années 1370/1380 entre Paris et Angers quand ces tapisseries ont été conçues et tissées.

Les paléontologues nous disent qu’en dépit de la disparition des dinosaures en tant qu’espèce, à la fin du crétacé, il y a environ 65 millions d’années, à partir d’eux s’est poursuivie une évolution (1). En second lieu ils décrivent comme avérée l’évolution qui a mené via l’apparition des différentes espèces d’Archéoptérix descendant des dinosaures jusqu’aux collections d’oiseaux actuelles .

Les dragons ont ils existé suivant cette ligne d’évolution ? Et les Anges ? On serait tenté de dire: sûrement pas et sûrement pas suivant cette ligne ? Voire .

Les dragons de Kommodo ou les varans des Galapagos, des espèces très rares sur la planète, ou les plus grands crocodiles actuels nous font penser aux dinosaures ; ils peuvent être pris comme des mémoires de rappel derrière les légendes. Les légendes/dragons peuvent de leur côté être considérées comme les produits de notre sous-cerveau reptilien, la partie de notre cerveau la plus archaïque . – Pourquoi pas les deux fonctionnements se rejoignant dans l’origine de ces légendes sur le Dragon: reptiles, sauriens fossiles et sous-cerveau reptilien ?

Mais les Anges, alors ? Se placent-ils entre les restes d’Archéoptérix et les oiseaux d’aujourd’hui ? Ils sont assurément le fait d’une élaboration légendaire par la tradition religieuse issue d’un sentiment dualiste de la création . Que doivent-ils à l’évolution, au titre de la science ? De même que les Dragons, les Anges ne doivent-ils pas être pris comme témoins de la même longue évolution ? Les Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers fournissent des indices dans ce sens .

On sait que les dragons de l’Apocalypse de Jean (vers 80-90 ap. J.C.) se référaient explicitement aux Kéroubs /Chérubins, ces monstres « du temps des hybrides », ces « gardiens » dans la Bible. Dans les Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers le dragon contre lequel lutte l’Archange St Michel nous semble, lui, procéder presque directement d’un souvenir paléontologique des dinosaures et d’archéoptéryx . En plus de son immense queue qui rappelle celle des dinosaures, les ailes de ce démon dragon sont semblables à celles des chauve-souris et procèdent peut-être justement du souvenir inconscient de l’archéoptéryx. Tandis que les ailes des anges, qui sont une affaire exclusivement d’occident (”indo-européenne”, selon G. Dumézil), sont de vraies ailes d’oiseaux, comme si les anges procédaient d’un stade plus avancé de l’évolution. L’archange cloue le dragon à terre . L’énigme relève ici d’une sourde opposition entre les options fondamentales de civilisation de l’Occident, et celles de l’Orient. En Occident le Dragon est mis à terre par l’Archange victorieux. Le Dragon est tout à fait l’opposé de l’Ange. L’option est radicalement dualiste, le Bien contre le Mal. Tandis qu’en Chine où le dragon au contraire a pu être le symbole de l’empereur, son animalité n’est pas contrée, il exprime l’unité avec la nature même dans ses débordements (1) .

 

Rassemblement Image CahierIIIA (7)
Apocalypse d’Angers ( fin XIVe) St Michel cloue au sol le dragon

L’enchaînement des Cycles - Ces hypothèses deviennent particulièrement convaincantes dès lors qu’on lit les cycles de l’évolution et des civilisations . Dans les Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers, ces cycles de civilisation y sont présents, générés les uns par les autres : 1) Dragons et Anges peuvent se rattacher d’abord à des fossiles paléontologiques dont le souvenir (via sans doute l’archéoptérix) s’est trouvé entretenu d’une façon ou d’une autre.- 2) - ils sont un rappel du « temps des hybrides » des passés mythico-rituel, des Kérubins androcéphales assyro-babyloniens jusqu’à ceux de de la Bible, entre dragon et anges.- 3) Sont présents Jean et l’Apocalypse, ses visions du temps des persécutions contre les premiers chrétiens ( vers 80-90 ap. J.C.), les Anges servent le bien, le Dragon c’est le mal .- 4) Ensuite il y a eu cet Apocalypse d’Angers tissé en tapisserie au XIV° siècle d’après l’Apocalypse de Jean, et où tout se trouve rassemblé dans une sorte d’hybridation des temps cette fois. Jean présent sur chaque tenture est le reporter de cette enchaînement des cycles de civilisation. Des chevauchements et rattrapages mémoriels, des métamorphoses sont le propre de l’évolution dans la mémoire culturelle, laquelle a son propre temps, un autre temps que celui de la succession des périodes archéologiquement et historiquement datables, un temps sans fond vers le passé.

Rassembmeùment image Cahier III A (8)

Apocalypse d’Angers . Deux hybrides face à face, l’ Ange et le dragon-démon. On a même ici un hybride au second degré : selon Jean la femme pour échapper au dragon reçoit des ailes d’ange.

Dante et le temps des hybrides  - Que signifient-ils par eux-mêmes, ces chevauchements, par exemple comme générateurs du fantastique ? Pour Dante, dans la Divine comédie ( v.1300/1310)– au XXIe chant du Purgatoire- , ils sont comme un rappel à la dimension du temps de la Création ; mais tout autant, sans que ce soit explicitement dit dans ses vers, des indices des métamorphoses engagées « à l’avant (ou en marge) de la Création », autrement dit comme des faits de l’évolution, comme des faits du temps des hybrides prolongé. Au XXIXe chant du Purgatoire, c’est un Griffon (tête d’aigle, deux ailes immenses, membres d’oiseau couleur d’or, corps de lion) qui tire le char triomphal : « la Bête qui est une seule personne en deux natures (v.108-117) » ; Jean de l’Apocalyse est là aussi et les quatre animaux, qui sont bien les souvenirs des Kéroubs/ Chérubins de l’Ancien Testament, chacun empenné de six ailes, les plumes pleines d’yeux .- Au chant XXXI(v.117-126) on retrouve le griffon dont Dante voit l’image se refléter dans les yeux de Béatrice : « Mille désirs plus brûlants que la flamme attachèrent mes yeux aux yeux resplendissants qui se tenaient fixés sur le griffon. Comme le soleil dans un miroir, ainsi la double bête y rayonnait tantôt en une forme tantôt en l’autre. Pense, lecteur, si je m’émerveillais quand je voyais la chose être immobile en soi et se transmuer dans son image ». (v. 117-126). Ici je suis volontiers Jan Assmann et ce qu’il entend par « mémoire culturelle »(2). Ce rappel étonnant du temps des Hybrides par Dante, (vers 1310-1320) indique bien le mode de transmission et de prolongation d’un passé très lointain, celui du temps des hybrides (d’environ trente siècles plus tôt) avec métamorphose de son sens religieux dans « la mémoire culturelle » de Dante, au point qu’il rattache implicitement la double nature du griffon, de l’hybride, à la question si délicate de la double nature du Christ, à la fois Dieu et Homme.

Admettra-t-on qu’il n’y ait pas rupture de registre ni rupture de continuité entre 1) - les temps paléontologiques des dinosaures et d’archéoptérix , 2) - le temps des Hybrides de la haute antiquité, et finalement 3) - la venue des dragons et des anges de nos légendes ? Les indices à trouver de cette continuité sont à lire jusque dans les cycles contemporains, à condition évidemment de décrypter parmi de nombreuses incidences celles des religions et des options fondamentales prises par les différentes aires de civilisation sous des formes évolutive qui, même opposées, ont pu être en interaction d’une aire à l’autre dès leur plus lointaine antiquité.

Patrice Hugues

 

(1) Figure des confluences, le dragon  c’est aussi les crues dévastatrice des  grands fleuves indomptables.

 

4 ème article Les plus longues continuités

Mercredi 5 mars 2008

Vous avez reçu de ma part, il y a quelques mois le site Web où est présenté mon Cahier III en entier ( « En suivant le tissu..l’entre-deux… et le chien de l’épileptique »).
Peut-être l’accès à l’ensemble sur écran vous a-t-il paru assez ingrat (même s’il est toujours possible de sortir sur imprimante seulement tel chapitre ou passage qui aura retenu votre intérêt) ? Pour alléger cet accès et arriver, si vous le voulez bien, à un échange, éventuellement à une controverse tout à fait ouverte, permettez-moi de vous adresser sous forme d’articles/question de très courts textes .

Voici le 4ème de ces articles intitulé “Les plus longues continuités”. Les passages du Cahier III qui peuvent servir de bases à la discussion se trouvent principalement aux chap. 4, 6, 7 et 8.
Votre avis votre commentaire, que vous pouvez taper dans le cadre « commentaire » à la fin de l’article, auront pour moi le plus grand intérêt . Surtout si quelque chose vous intrigue, vous arrête, doit être complété ou même vous paraît inacceptable .

Je vous en remercie vivement d’avance .
Avec mon cordial salut. Patrice Hugues

 

 

« Les plus longues continuités »
Différentes échelles de temps et d’espace

Reconnaître « les plus longues continuités » suppose de savoir pratiquer différentes échelles de temps (comme dans l’espace) ; cela permet de ne pas butter sur des ruptures de registres qui n’existent pas mais qui bloquent trop souvent la recherche. Une distance est à franchir dans le temps entre temps présents et temps préhistoriques et même paléontologiques jusqu’à suivre tout le processus d’hominisation. Il serait bon de prendre l’habitude de ce trajet dans le temps comme une longue continuité. Pratiquer une autre échelle des temps pour aller bien au delà de la Préhistoire et bien sûr au delà de la très courte Histoire.- Une distance temporelle vertigineuse, ni plus ni moins. Il ne s’agit que de changement d’échelle qu’on a trop longtemps pris comme une rupture de registre. Et distance bien plus vertigineuse encore entre Homme et Cosmos, incommensurable pour l’observation « à échelle humaine ». Si ces écarts d’échelle sont seulement éprouvés, subis sans connaissance de cause, s’il y a rupture d’échelle (et donc de registre) dans le sentiment qu’on en a et dans les mentalités, l’abîme ou la fracture ouverts seront un appel d’air pour le religieux et Dieu, pour qu’ils viennent au dessus du vide et occuper le vide.

La Création du monde nous vaut seulement « une demi-longueur de temps » - Les continuités les plus amples, les plus vastes mémoires, c’est bien l’inverse de ce qui peut faire croire à la Création. La Création pour qu’on y croie implique au contraire des “ruptures de registre » (avant : rien, - après : tout le monde créé). Ce qui suit la création c’est une durée qui vient juste de démarrer, qui regarde toujours l’éternité d’après, et pas du tout d’éternité avant. La vie nous semble à la merci de cette durée intempestive mais, elle, cet entre-deux entre naissance et mort, entre avant et après, n’est pas en fait sur le modèle de cette demi longueur du temps que la Création implique.

Reconnaître des continuités élargies - Elargissement de la mémoire et de la conscience : depuis le temps de l’embryon jusqu’à l’enfant, le temps dans la vie personnelle, le temps court de notre histoire et des civilisations historiques, les temps longs de la préhistoire et encore plus longs de la paléontologie humaine, …..jusqu’aux temps de l’apparition de la vie sur la terre, de la terre elle-même ; en passant donc par tous les temps de « l’évolution », avec des ordres de grandeur qui à chaque fois changent fabuleusement.

Ressaisir ces longues continuités est sûrement l’un des meilleurs moyens pour apprendre ou réapprendre le respect de toute personne humaine issue d’une si longue évolution jusqu’à cette intentionnalité qui semble à la conscience libre de tout déterminisme.

Nécessité de rendre habituelle la perception simultanée d’échelles multiples, y compris les plus écartées, aux extrêmes. Les savants ont cette habitude, parce qu’ils pratiquent pas à pas des extensions en changeant d’appareils d’observation et de mesure, et à chaque fois d’ordre de grandeur et d’échelle . De même les mathématiciens par des itérations numériques progressives à l’infini depuis l’unité ou la fraction . De son côté le tissage la propose, cette perception, dans sa continuité à échelles multiples selon ses différents niveaux d’organisation, depuis la pièce d’étoffe entière, les motifs tissés d’échelles différentes, ensuite au niveau des fils, des fibres, et pour finir à celui des molécules polyméres et monomères…

Un premier raccordement indispensable serait que la succession puisse clairement s’établir des temps «mythiques/ rituels » aux tout premiers pas du « repli réflexif », dans cette étape de transition décisive sur plusieurs millénaires (c’est la fin du néolithique) le plus souvent omise ou très mal connue où le compte et le tissage apparaissent en même temps que l’agriculture. On aurait en même temps de nouveaux indices sur la continuité dans l’évolution des structures mentales et sur le mode de transmission des acquis (mémoire et tradition purement orales encore, rituels, signes sans écriture, puis premières écritures pictographiques jusqu’aux premières écriture linéarisées…).

Patrice Hugues

3ème article - Le Tissu “par défaut” - Les Aborigènes d’Australie

Dimanche 24 février 2008

Votre avis sur ce 3 ème article, votre commentaire que vous pouvez taper dans le cadre « commentaire » en fin de page aura pour moi le plus grand intérêt . Surtout si quelque chose vous intrigue, vous arrête, doit être complété ou même vous paraît inacceptable . Je vous en remercie vivement d’avance .

A propos des peintures rupestres des Aborigènes
Un Aborigène conduit devant les peintures rupestres des grottes du Périgord et du Larzac ne manquerait pas de ressentir d’abord de fortes correspondances de valeur avec les peintures rupestres de chez lui (1). Chez les Aborigènes d’Australie les peintures rupestres n’ont jamais complètement cessé, d’ailleurs dans les peintures sur écorce, qui leur font suite, même récentes, on a souvent l’équivalent, les mêmes figurations ou presque se retrouvent. Dans les peintures rupestres très anciennes dites de « Style rayon X » les organes internes sont figurés (ex. du kangourou) . Pas de séparation entre le substrat biologique, le physiologique, les organes internes (entrailles: poumons, intestin, colonne vertébrale…) et la figuration de l’animal dans ses formes externes. Il a y aussi des représentations humaines en style rayon X. Certainement ces peintures écartent tout dualisme. Ce que les Aborigènes entendent par « Le temps du rêve » est une vision extrêmement cohérente intégrée et territorialisée de tout la réalité naturelle, y compris humaine, passée et présente, suivant à la trace sur leurs itinéraires les marques laissées par les “grands Ancêtres”.
(1) - C’est l’expérience qu’a faite François Giner v. François Giner : En terre Aborigène - Albin Michel

Peintures sur le corps de losanges striés …comme un vêtement ? Les Aborigènes n’ont jamais eu de tradition de tissage, mais ces peintures corporelles préfigurent le tissu. Elles « n’entrent pas » dans la peau, elles sortent au contraire de l’intérieur du corps qu’elles figurent en partie sur la peau, dans une correspondance de sens avec les peintures de « Style Rayon X » qui montrent les entrailles des êtres représentés. C’est une structuration ritualisée des surfaces du corps, comme inhérente à l’espèce humaine, comme « tissée ».Il ne s’agit pas du tout d’une figuration mimétique du tissu des vêtements forcément récents venus par les Européens.


Rassemblement Images Cahier III A(19)
Peinture corporelle des motifs sacrés du clan de la grand-mère
maternelle, celle-ci étant appelée «colonne vertébrale” ». Parenté
certaine avec les peintures de « style rayon X » les plus anciennes
montrant en particulier la cage thoracique vue de l’intérieur.

Peintures aborigènes récentes : compte et tissages « par défaut » -Dans les peintures d’aujourd’hui, sur écorce, sur toile… on trouve très souvent des stries et rayures parallèles, des croisures (des « diamants ») qui vont dans le même sens, par un genre d’abstraction très près du modèle des structures tissées cependant non pratiquées par les Aborigènes et jusque là “comme tenues en attente”. Ce sont les signes d’un processus structurel originel d’abstraction minimale : ce sont « des rythmes avant tissage », en attente de compte et de tissage, pourrait-on dire. Comme les peintures corporelles en blanc sont pour une part tout à fait symbolique des annonces sinon des « attentes » de vêtements mais disent aussi certainement bien autre chose.

rassemblement images Cahier III A(20)
Peinture très récente (acrylique sur écorce ou sur toile). Parenté évidente avec les peintures corporelles,mais aussi peinture « comme en attente du tissage »

- Dans les peintures récentes on a certainement le nombre (points innombrables, ponctuations nombreuses avec le doigt, plus empreintes des mains avec les cinq doigt) mais certainement pas vraiment le compte; pas d’abstraction structurante ni par le compte ni par le tissage, on l’a vu. Par contre on a affaire à des schémas spatio-temporels, une quasi géographie, pas plus pas moins abstraite que celle de nos cartes, allant avec un sentiment très expressif des changements d’échelle dans leur représentation, avec extension vertigineuse par l’innombrable de leurs ponctuations, accompagnant des signes très souvent « territorialisés », indiquant très fortement des repères (des points d’eau, par exemple, certains rochers …), équivalents des êtres, objets, lieux sacrés dénommés qui jalonnent les itinéraires « du rêve » .

rasssemblement images Cahier III A(22)

Dans les peinture récentes on a certainement le nombre (points innombrables) mais pas vraiment le compte…, une extension vertigineuse vers l’innombrable , des changements d’échelles, accompagnant des signes très souvent « territorialisés » équivalents des êtres, des objets, des lieux sacrés qui jalonnent les itinéraires, ici sans doute celui du « Rêve pluie » ou du « Rêve eau » (Barbara Glowczeswski) .

Le « temps du rêve » des Aborigènes est bien un temps du tissu « par défaut », qu’on peut dire aussi « en attente du tissage ». Il annonce à sa manière le tissage, goût du nombre, habitude des changements d’échelles, sens des rythmes, des répétitions, des croisements et même des entrelacements. Mais n’ayant pas de tradition de tissage ni de pratique du tissu avant l’irruption des Européens, les Aborigènes n’ont jamais eu le sens des plis et replis du tissu qu’ils ne figurent jamais dans leurs représentations même dans leurs peintures récentes. « Le tissu par défaut », c’est autant dire que «le repli réflexif » comme mode de pensée est aussi là seulement “par défaut”. Et cela vaut pour toute leur activité symbolique . Pour les Aborigènes tout est dans « l’étendu existentiel », tout est territorialisé. Et plutôt la permanence que les temps successifs du repli .

2ème article - Des signes annonciateurs des premiers tissages (fin du paléolithique supérieur - début du néolithique)

Mercredi 20 février 2008

Avant les premiers tissages on peut retenir comme des signes qui les annoncent dès la fin du paléolithique supérieur et au tout début du néolithique les deux traits suivants : 1) disparition progressive et bientôt complète des figurations d’animaux dans les gravures et peintures rupestre;- 2) en revanche les signes abstraits, présents de longue date, se multiplient alors .

En rapport avec ces deux faits, suit dans ce Cahier III (chap.1 -”Le Tissu”) une approche des premiers tissages selon un éclairage inhabituel qui se défend . Qu’en pensez-vous ?

En voici des extraits :

Sur les parois des grottes encore fréquentées, alors que disparaissent les figurations d’animaux, se sont multipliés, dans les tout derniers temps du paléolithique supérieur (Aurignacien – Gravettien - Magdalénien) sur os ou sur des galets et plaquettes brutes, les signes sans figurations, points, stries nombreuses ordonnées en séries, souvent reprises en chevrons, des rectangles eux-mêmes divisés selon des partitions en grille … et il est plus que probable que des signes analogues intervenaient dans le même temps dans des peintures corporelles, comme en témoignent encore aujourd’hui les peintures rituelles sur le corps des Aborigènes d’Australie . Ce qui, selon O. Keller que je suis ici (1), était alors le premier souci d’expression, n’était plus la figuration des animaux qui avait tellement intéressé les chasseurs (et cueilleurs) mais de rendre manifeste le mouvement par la recherche spontanée de rythmes, moyennant des répétitions simples, par exemple par translations répétées d’un même signe. On sera là vite très proche des encoches de la baguette du chasseur mais aussi des premiers éleveurs leur permettant d’enregistrer et de compter leurs troupeaux. Rythmes et comptes élémentaires marchent alors de paire, les rythmes aidant la scansion des rituels dans toute leur symbolique et comme éléments structurants dynamiques du groupe entraîné à les respecter avec la plus extrême rigueur et le plus extrême précision dans tout le détail des gestes de ces rituels, jusque dans leurs accessoires. La dynamique des anciennes gravures rupestres figuratives laisse alors la place à la dynamique des répétitions et des rythmes. Les premiers comptages sont pratiqués et vont bientôt se retrouver dans les premiers tissages. Certainement il fallait cette évolution pour que aussi bien au niveau des structures mentales, des danses et cortèges rituels qu’au niveau le plus concret des outillages, des objets et des techniques, soient bientôt réunies les conditions d’apparition des premiers gestes de répétition d’entrecroisement de fibres ou de fils (premiers fils sans doute à partir de la laine mèche des ovins ou caprins, faisant suite aux lanières de cuir passées à l’aiguille pour coudre les vêtements de peau des magdaléniens), des premiers gestes de tissage, avec des comptes élémentaires, des répétitions et des rythmes en parfaite intégration avec le mouvement des corps et la demande d’animation cohérente des mentalités collectives.
Rythmes, cortèges, danses et parures (comptant éventuellement les premiers tissus cérémoniels) sous forme de rituels, sont des modalités essentielles de l’élargissement du corps/esprit à des dispositions actives de communication au sein du groupe comme avec les êtres sacrés dans l’environnement. Ces mêmes rituels sont en même temps l’un des principaux modes de transmission des savoirs et des croyances….

Patrice Hugues
(1) v.« Quelques données pour une préhistoire de la Géométries » – Olivier Keller ; Anthropologie 2001 vol.105(INIST-CNRS)

1er article - Le temps des Hybrides

Vendredi 15 février 2008

Êtes-vous d’accord pour revoir notre représentation des “Chérubins” qui à l’origine étaient les “Kéroub” ces Hybrides humains/animaux - par exemple ces Taureaux androcéphales ailés - gardiens “Echangeurs” aux portes des palais assyriens ou perses, ou brodés sur les tentures de la “Demeure”dans la Bible, dont les prototypes sans doute originaires du plateau iranien remontaient au IIIe millénaire av.J.C. ? Rien à voir avec des angelots ! Les passages du Cahier III correspondant “au temps des hybrides ” aux chap. 1 et 8 pourront servir de bases à la discussion . Merci d’avance de vos commentaires .
En voici des extraits :

Le temps des Hybrides
- Entre les temps mythiques-rituels et le développement du repli réflexif, il y a eu « le temps des Hybrides » . A un moment donné dans l’exploration des plus longues continuités on doit s’arrêter inévitablement sur ce qu’on peut appeler « le temps des hybrides ». Ce temps des hybrides c’est le temps d’un changement de monde, près de la fin des symbioses humains-animaux et pas loin des premiers pas du ” repli réflexif”. C’est le temps des « Kéroubins ou chérubins (!)», autrement dit des hybrides - « kéroub » ou « échangeur » en assyrien (ou akkadien) le plus ancien - ; Le temps des hybrides est celui du passage d’un monde à un autre …. (illustr. Kéroub - Assyrie - IXe s. av.J. C.)
Pour le temps des hybrides

- Ces Chérubins qu’il ne faut absolument pas prendre pour des angelots, étaient bel et bien ces monstres androcéphales, avant tout gardiens (et échangeurs), du même type que ceux cités dans la Genèse gardiens à l’entrée du jardin d’Eden et aussi Kérubins pour la Demeure, de métal ou de bois, sous le trône du Seigneur, ses meilleurs gardiens (Ex. 25, 18-22, 2 Sam.22,11), ou cités par Ezéchiel (Ez.41, 18-19) dans le Temple.

- Kérubins, gardiens mais aussi « échangeurs de mondes » ( Kéroub /« Echangeur »), d’un monde à un autre, qu’on à pu confondre par la suite avec l’Ange, chassant Adam et Eve, les contraignant à passer du paradis terrestre à un monde plein de dureté. Des Kérubins/Chérubins aux anges, simple glissement d’un hybride à un autre avec intégration de l’image humaine entière. Les anges (messagers) sont aussi de hybrides. Tous les hybrides dont il s’agit ici ont en commun d’être ailés…

- Sur les tissus les hybrides en motifs tissés et pas seulement brodés, un tissage extrêmement complexe, ils interviendront seulement beaucoup plus tard. Il fallait que soient apparus les premiers métiers à la tire ou l’équivalent . En Chine le dragon dès les soieries Han et dans l’orient méditerranéen, guère avant le VIe siècle de notre ère, les griffons, les chevaux ailés des tissus de soie de la Perse sassanide - (v. illustr.), puis viendront les anges tissés des soieries byzantines…

Pour le temps des hybrides 2

 

Patrice Hugues