Archive pour juillet 2008

8 ème article/question - Le Tissu et l’entre-deux (2)

Mercredi 2 juillet 2008

 

Voici le huitième article proposé, il est intitulé “Le Tissu et l’Entre-deux (2)”. Comme pour chacun de ceux que vous avez reçus précédemment, votre avis, votre commentaire, que vous pouvez taper dans le cadre « commentaire » à la fin de l’article, aura pour moi le plus grand intérêt . Surtout si quelque chose vous intrigue, vous arrête, doit être complété ou même vous paraît inacceptable .

Merci donc de votre commentaire .

Le Tissu et l’Entre-deux (2)

Le Tissu, l’objet matériel, physique qu’est le tissu sert, accompagne, épaule, certains de nos fonctionnements entre-deux les plus décisifs; ne s’y substitue pas pour autant, mais, les modélisant, à sa manière les aide. Ce besoin qu’il sert, est un besoin psychique intime ; tout en restant dans le monde concret des objets (objet-transitionnel, objet-médiation, objet entre-deux).
Cette relation au tissu correspond aussi à un besoin profond de matérialiser pour soi, l’état de milieu qui est le nôtre, de trouver quoi tenir, quoi toucher qui ait ce pouvoir spécifique de nous faire ressentir, confusément ou clairement, mais de façon immédiate, notre état qui est fini et touche cependant à l’infini. Le tissu opère dans l’entre-deux, entre le vivant et l’illimité.
La réalité souple mais solide du tissu, faite de fils croisés de chaîne et de trame ou de mailles, peut se déplier, se replier, avoir toutes les dimensions, s’étendre ou bien se ramasser en quelques replis rapides, comprendre des signes mêlés au mouvement, qui se mêlent aux gestes, à l’espace, à la parole . Il est presque toujours là, entre nous, au milieu.. Concrètement et métaphoriquement, le tissu est une réalité qui appartient à “l’état de milieu”.
- A son contact au plus près de notre être, à tout instant ou presque de notre vie quotidienne, nous nous acheminons aisément en cet état. Cela peut être inconsciemment. Mais nous pouvons aussi bien l’éprouver sensiblement et même le penser. Notre état est bien cet “état de milieu”, tel que le définissait Pascal et le tissu sert cet état de milieu de multiples façons.
Le tissu est ce “passeur” en contact direct avec notre corps, qui intervient à la limite entre objet interne et objet externe, entre dehors et dedans, pour l’unité de soi, entre désir et pensée, entre le charnel et le spirituel, comme entre le masculin et le féminin. Le tissu, dit-on, sert d’abord le corps, dans toutes ses fonctions vestimentaires y compris dans ses fonctions les plus charnelles, mais il sert aussi l’esprit unissant l’un à l’autre dans bien des liturgies, bien des cérémonies et symboles.
- Le tissu combine en lui même ce que l’on considère habituellement comme des niveaux distincts de l’application créatrice humaine. Le sensible du touchable, les fonctions que le tissu remplit au contact immédiat de notre corps, - voilà le premier niveau . Mais d’autre part la structure tissée, les signes qui s’y inscrivent selon des combinaisons numériques rigoureusement comptées, voilà un second niveau qui relève bien plus de différents processus d’abstraction, et se situe au plus près du mental et de l’intelligible . Dans le tissu les deux niveaux ne peuvent être dissociés. Il ne peut être question de qualifier l’un de niveau d’en haut, de niveau supérieur, l’autre de niveau d’en bas, niveau inférieur. A cette unité des deux tient sa valeur d’objet spécifique, sa valeur modélisatrice. - Le tissu vaut très spécifiquement comme suggestion et modèle d’un rapport entre objet et pensée, entre le sensible et l’intelligible.
- Le tissu nous fournit l’un des modèles les plus sûrs pour vivre le mieux cet entre-deux : en tant que “système souple” de fonctionnement dans le relatif, autant que la vie le veut . La vie se passe dans l’entre-deux, la vie est faite de l’entre-deux, entre naissance et mort, « des langes au linceul ». Nous en sommes venus au temps de “l’entre-deux”, temps qui demande que nous sachions être aussi bien d’un côté et de l’autre du voile; un temps où le principal du mystère est dans cette transgression-rencontre, elle-même entre-deux, et non plus dans ce qui serait caché derrière le voile ? Tout le mystère et le sacré d’aujourd’hui ne se placent-ils pas dans l’entre-deux de la vie ? Entre la conscience et le vivant ?

Transgression ou passage de l’entre-deux ?
Le tissu peut être entendu comme un agent des transgressions dont nous avons le plus grand besoin désormais, et peut-être d’abord de celle qui consiste à voir, percevoir, ressentir la présence des êtres, en se plaçant des deux côtés du voile, nous faisant vivre ce que nous sommes des deux côtés du voile, comme un passeur de l’entre-deux. Voiles et tissus incitent aux transgressions mais ils sont en même temps facteurs d’intégration entre deux.

Aujourd’hui il est possible et nécessaire de se placer « des deux côtés du voile », la formule prise ici au figuré veut dire quoi ? C’est aussi bien vivre de façon vraiment intégrée du côté du biologique et du côté de la conscience, vivre le substrat biologique de cette conscience et la conscience elle-même ; du côté du corps, du désir, du sexe et aussi bien du côté de l’esprit et de la pensée .
On le trouvera bien un jour scientifiquement le passage quasi direct de l’un à l’autre corps-nerf-cerveau et conscience-sexe, sans repli réflexif valant rupture de registre. Tant qu’on ne l’aura pas trouvé ce passage corps-nerf-cerveau et conscience-sexe, le tissu-voile restera une bonne incitation à le chercher, à s’en faire un modèle : « la chose entre-deux ». Pourquoi le voile resterait-t-il partagé en deux rôles, d’un côté le féminin et ce qu’il voit du masculin, et de l’autre côté le masculin et ce qu’il ne voit pas du féminin ? C’est un paradoxe, un effet de seuil artificiel, mieux vaudrait la transgression et qu’il intervienne réellement entre-deux. La gageure de la parité n’en serait plus une . Ce propos est à peine une utopie. (v. sur le présent site Cahier III chap.9 -Des façons de penser et chap. 11 - Mœurs)

Toucher - entre-deux - tissu. - Nous n’avons pas de vraie représentation de toute la réalité interne/externe de notre toucher. Le toucher reste donc établi dans cette zone intermédiaire, entre-deux, qui est aussi celle où opère le tissu se superposant intimement à la peau. Reste donc cette zone intermédiaire - on peut dire indécidable - qui n’est ni la conscience clairvoyante, ni l’absence de perceptions interoceptives, où beaucoup de notre vie et de notre être se joue en complète intégration organique. Tout y est latent.
Tissu - tout cela doit être ressenti dans une compréhension de la réalité qui place la vie humaine dans l’entre-deux, dans un sentiment de la réalité qui doit se soutenir et peut trouver son soutien dans tout objet concret tel le tissu, qui établit le passage entre-deux - ou au moins le suggère -, qui peut être tenu en main, touché, d’abord par le sujet et qui mette en rapport nos perceptions les plus immédiates et l’immense (par ses déploiements), ou l’innombrable cependant discernable (de ses motifs, de ses fils, de leurs croisures, et de leurs itérations à l’infini).

Patrice Hugues