Archive pour septembre 2010

23 éme article - Murakami au Palais de Versailles (sept./déc.2010)

Samedi 25 septembre 2010

 MURAKAMI au Palais de Versailles

 (les images sont placées après le texte)

Il ne s’agit absolument pas ici d’un article de critique d’art sur Murakami, ni d’aucune appréciation tendant à situer son œuvre dans la hiérarchie des «valeurs esthétiques » convenues . Ma grille de lecture est celle que  je  pratique couramment,  celle du Langage du Tissu, qui a l’avantage de s’appliquer de manière particulièrement opérante  à l’œuvre de l’artiste japonais Murakami, certainement parce qu’il est japonais justement . On entendra sûrement assez vite  que la civilisation du Japon, comme celle de la Chine, a toujours fait une très grande place au tissu  et à ses motifs . Il s’agit de signaler et de citer dans cette œuvre de Murakami ce qu’il y a de remarquable en rapport avec le Langage du tissu . Même s’il n’est jamais vraiment question de tissu, ce qu’elle exprime est souvent très proche du tissu 

(Je garde quant au reste vis à vis de l’œuvre de Murakami toute liberté d’appréciation,  sans aucune adhésion systématique).

1 ére remarque proposée

Il y a abondance de fleurs, ces fleurs qui se répètent à satiété, toutes sur le même modèle, un genre de grandes marguerites, que l’ on peut prendre pour des motifs, quasi répétitifs,  très serrées les unes contre les autres, ces fleurs  ne laissent pas de place entre elles  pour un quelconque intervalle . La plupart du temps, et pas seulement sur la surface plane de la toile, même sur des volumes sphériques (1), le parti adopté et affirmé avec insistance est de ne laisser aucun intervalle entre les fleurs, quitte à ce qu’elles se chevauchent bien souvent les unes les autres, les plus petites venant déborder sur les autres aussi bien que les plus grandes. Il y a foison de fleurs. Images 5 et 3

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(1) Sauf cas de telle œuvre en volume sphérique en vitrail lumineux , les fleurs  réalisées sur des compartiments structuraux - métalliques ou en plastique et fibres de verre -   de formes courbes  qui les séparent et par conséquent  entre chaque compartiment qui ne forme pas un simple quadrillage, il y a nécessairement des intervalles quoique très réduits.  Image 6

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Dans les tissus,  qu’ils soient  d’occident  ou bien de Chine et du Japon, si les motifs du décor sont tissés, il y a toujours place comme une nécessité structurelle pour un intervalle entre chacun d’eux  et ses voisins  et ces intervalles forment même ce que l’on désigne paresseusement comme étant « le fond »   par opposition au motifs . C’est vrai même pour la majorité des décors du tissu à motifs imprimés ( mais beaucoup moins vrai pour les décors brodés).  Chez Murakami  la plupart du temps il n’y a en somme pas de fond, la surface est entièrement couverte par les motifs . Le travail graphique lui en laisse la possibilité . Il ne s’agit évidemment jamais de tissage . 

2éme remarque

Donc Murakami, ses fleurs sont innombrables. On a, on vient de le voir, une couverture très dense de la surface . Les gens qui sont très sensibles au tissu vont très facilement au nombre, ils savent que le tissu est fait de compte, compte de ses fils et de leurs croisures innombrables . Quelque chose de cet  ordre se trouve  exprimé dans   l’œuvre de Murakami, avec seulement entre tous ces motifs de fleurs, des différences partielles, elles sont  plus grandes ou plus petites, et coloriées de façon chacune particulière par rapport aux voisines…Le nombre est toujours là ! A la limite du vertigineux, les différences de taille (mais à la même échelle) y sont pour beaucoup . C’est ce qui fait, joint à d’autres facteurs dont ce qui va suivre, une partie de l’expression préoccupante, voire dramatique  et cruelle des œuvres de Murakami . Tout cela est bien entendu à voir en rapport avec l’importance prise par le numérique .

3éme remarque

Ces fleurs innombrables que ne sépare aucun intervalle, portent toutes les signes  d’expression d’un visage, deux yeux, une bouche, plus l’équivalent d’oreilles au niveau des pétales, elles sont là en somme comme des  « fleurs visages » ou « des visages fleurs », une irruption chimérique de quelque chose d’humain dans de simples motifs de fleurs. Cette irruption chimérique qui semble venue machinalement comme viennent les motifs répétitifs, vaut d’une certaine manière les formes chimériques que génère très habituellement dans notre vision des décors à motifs de tissus ou des papiers peints, le jeu  entre motifs et intervalles qui bien souvent nous fascine . Vision d’occidental ?

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Mais  me dira-t-on : pourquoi s’entêter à rapprocher ce qu’expriment les œuvres de  ces quelques particularités qui sont peut-être significatives dans le langage du tissu ,  Murakami  semble  ne s’en être guère soucié ? Voire …

4éme remarque et ce n’est pas la moindre – Elle signale encore une fois une correspondance très forte avec le langage du tissu . Dès que l’on considère le tissu avec attention, on perçoit toujours plusieurs échelles simultanément, une pour chaque niveau d’organisation de sa structure – échelle des motifs grands ou petits,  échelle des fils et de leurs croisures, échelle des fibres composant ces fils …et si l’on dispose d’un microscope, jusqu’à l’échelle des polymères au niveau moléculaires … La nature du tissu implique cette  ambiguïté d’échelle. Dans bien des œuvres de Murakami il est évident qu’il y a aussi ambiguïté d’échelle et Murakami en joue de façon extrêmement déterminée. Parmi les fleurs qui toutes portent  des signes /visage et sont là en somme, on l’a vu,  comme des visages  fleurs, il y a souvent irruption de visages  beaucoup plus grands, presque géants, autrement dit d’une autre échelle ;  le plus typique est celui de Murakami lui-même que l’on reconnaît à son petit bouc et à la queue de cheveux qui lui vient de derrière la tête . C’est très remarquable, d’un effet très fort, qui s’impose. Un cerne entoure  et sépare ce monde du visage de Murakami de celui des fleurs visages qui sont d’une autre échelle, nettement plus petite, même les plus grandes d’entre elles. Les fleurs visages ne sont pas simplement comme  des détails à même échelle appartenant au même ensemble que le visage de Murakami . Et cela peut être le cas même de ces fleurs qui prennent de l’ampleur et menacent  de débordement dans une approche très ambiguë les autres grandes têtes insolites qui peuvent surgir, tête de lapin-enfant aux dents pointus, au sourire cruel, faites, croirait-on pour se perdre parmi toutes  ces fleurs visage, mais qui se tiennent tout de même absolument à part .

Une zone d’équivoque particulièrement troublante  est au niveau des yeux  des grands visages (eux, presque envahissants alors?), parfois 3 et non pas 2 yeux, et ne regardant pas dans le même axe, louchant presque . Pour moi l’équivoque m’impressionne surtout lorsqu’il s’agit du visage de Murakami dans le jeu entre ses verres de binocle parfaitement circulaires et grands et une boule assez petite parfaitement sphérique qui semble être le globe oculaire de ses yeux  en mouvement sur orbite, mais l’un d’eux pouvant lui-même être exorbité. Tout cela semble en circulation giratoire mais contenu dans les verres du binocle ou dans le contour du  visage, sans pouvoir s’en échapper. Une histoire de lentille, de loupe, de bille de verre vaguement miroitante, sans cependant aucune proposition de véritable reflet ni d’image réfléchie. Une envie d’optique à l’occidentale mais avortée  ou plutôt victorieusement traduite en japonais?                                                  Images 1,2,4

L’ambiguïté est portée là jusqu’à la limite mais par le changement d’échelle la séparation des visages d’avec l’assaut de fleurs reste absolument nette .

Le Japon a toujours su et aimé pratiquer le pouvoir des changements d’échelles,  de l’ ambiguïté d’échelles, pour faire ressentir l’immensité dans l’univers en réduction des jardins zen ( ex.le Ryoan-ji à Kyoto)…C’est une de ses plus fortes traditions. Témoins aussi les « Bonzaï » ces arbres en réduction.

5éme remarque

Il ne me semble pas qu’il y  ait dans les panneaux à 2 dimensions, ou même dans les volumes quand ils sont parfaitement sphériques, la moindre surface  réfléchissante à véritable valeur de miroir . Il y a bien « le  Bouddha » couvert de feuilles d’or, qui brille de mille éclats à l’extérieur du palais de Versailles, ou, celui en  argent, qui peut être placé dans la Galerie des glaces à l’intérieur du palais . Mais même si c’est poli et brillant cela peut faire penser à des replis du type origami plutôt qu’à des surfaces de miroirs capables de réfléchir des images aisément repérables et bien lisibles . – Non !  Si on est dans la Galerie des glaces , on sait très bien que l’occident pratiquait les miroirs parfaitement réfléchissants déjà avant l’époque de Louis XIV, dès le début du XVI e siècle …on sait très bien que l’occident  a toujours beaucoup aimé la valeur spéculative et réflexive – « spéculum » -  des miroirs . Le Japon, non ! A Versailles entre les glaces de la Galerie et les œuvres de Murakami  qui  souvent brillent,  il y  a mise en vis-à-vis mais la passerelle entre les deux ne peut  pas s’établir  effectivement au niveau des miroirs . Images 8 et 9

Ici se retrouve entre le Japon et l’Occident l’opposition entre  deux civilisations, dans leurs options et leurs soubassements profonds. Du côté de l’Occident beaucoup plus le miroir, du côté du Japon plus de respect pour le tissu  et ses signes. Mais tout ça se mondialise. Les remarques proposées à partir de l’œuvre de Murakami signalent certaines des ouvertures et compositions possibles, déjà engagées,  entre les deux .  

 
Patrice   Hugues  copyright.
 

Visage de Murakamicopie 2 de images 2 bis de Murakami

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