3ème article - Le Tissu “par défaut” - Les Aborigènes d’Australie

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A propos des peintures rupestres des Aborigènes
Un Aborigène conduit devant les peintures rupestres des grottes du Périgord et du Larzac ne manquerait pas de ressentir d’abord de fortes correspondances de valeur avec les peintures rupestres de chez lui (1). Chez les Aborigènes d’Australie les peintures rupestres n’ont jamais complètement cessé, d’ailleurs dans les peintures sur écorce, qui leur font suite, même récentes, on a souvent l’équivalent, les mêmes figurations ou presque se retrouvent. Dans les peintures rupestres très anciennes dites de « Style rayon X » les organes internes sont figurés (ex. du kangourou) . Pas de séparation entre le substrat biologique, le physiologique, les organes internes (entrailles: poumons, intestin, colonne vertébrale…) et la figuration de l’animal dans ses formes externes. Il a y aussi des représentations humaines en style rayon X. Certainement ces peintures écartent tout dualisme. Ce que les Aborigènes entendent par « Le temps du rêve » est une vision extrêmement cohérente intégrée et territorialisée de tout la réalité naturelle, y compris humaine, passée et présente, suivant à la trace sur leurs itinéraires les marques laissées par les “grands Ancêtres”.
(1) - C’est l’expérience qu’a faite François Giner v. François Giner : En terre Aborigène - Albin Michel

Peintures sur le corps de losanges striés …comme un vêtement ? Les Aborigènes n’ont jamais eu de tradition de tissage, mais ces peintures corporelles préfigurent le tissu. Elles « n’entrent pas » dans la peau, elles sortent au contraire de l’intérieur du corps qu’elles figurent en partie sur la peau, dans une correspondance de sens avec les peintures de « Style Rayon X » qui montrent les entrailles des êtres représentés. C’est une structuration ritualisée des surfaces du corps, comme inhérente à l’espèce humaine, comme « tissée ».Il ne s’agit pas du tout d’une figuration mimétique du tissu des vêtements forcément récents venus par les Européens.


Rassemblement Images Cahier III A(19)
Peinture corporelle des motifs sacrés du clan de la grand-mère
maternelle, celle-ci étant appelée «colonne vertébrale” ». Parenté
certaine avec les peintures de « style rayon X » les plus anciennes
montrant en particulier la cage thoracique vue de l’intérieur.

Peintures aborigènes récentes : compte et tissages « par défaut » -Dans les peintures d’aujourd’hui, sur écorce, sur toile… on trouve très souvent des stries et rayures parallèles, des croisures (des « diamants ») qui vont dans le même sens, par un genre d’abstraction très près du modèle des structures tissées cependant non pratiquées par les Aborigènes et jusque là “comme tenues en attente”. Ce sont les signes d’un processus structurel originel d’abstraction minimale : ce sont « des rythmes avant tissage », en attente de compte et de tissage, pourrait-on dire. Comme les peintures corporelles en blanc sont pour une part tout à fait symbolique des annonces sinon des « attentes » de vêtements mais disent aussi certainement bien autre chose.

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Peinture très récente (acrylique sur écorce ou sur toile). Parenté évidente avec les peintures corporelles,mais aussi peinture « comme en attente du tissage »

- Dans les peintures récentes on a certainement le nombre (points innombrables, ponctuations nombreuses avec le doigt, plus empreintes des mains avec les cinq doigt) mais certainement pas vraiment le compte; pas d’abstraction structurante ni par le compte ni par le tissage, on l’a vu. Par contre on a affaire à des schémas spatio-temporels, une quasi géographie, pas plus pas moins abstraite que celle de nos cartes, allant avec un sentiment très expressif des changements d’échelle dans leur représentation, avec extension vertigineuse par l’innombrable de leurs ponctuations, accompagnant des signes très souvent « territorialisés », indiquant très fortement des repères (des points d’eau, par exemple, certains rochers …), équivalents des êtres, objets, lieux sacrés dénommés qui jalonnent les itinéraires « du rêve » .

rasssemblement images Cahier III A(22)

Dans les peinture récentes on a certainement le nombre (points innombrables) mais pas vraiment le compte…, une extension vertigineuse vers l’innombrable , des changements d’échelles, accompagnant des signes très souvent « territorialisés » équivalents des êtres, des objets, des lieux sacrés qui jalonnent les itinéraires, ici sans doute celui du « Rêve pluie » ou du « Rêve eau » (Barbara Glowczeswski) .

Le « temps du rêve » des Aborigènes est bien un temps du tissu « par défaut », qu’on peut dire aussi « en attente du tissage ». Il annonce à sa manière le tissage, goût du nombre, habitude des changements d’échelles, sens des rythmes, des répétitions, des croisements et même des entrelacements. Mais n’ayant pas de tradition de tissage ni de pratique du tissu avant l’irruption des Européens, les Aborigènes n’ont jamais eu le sens des plis et replis du tissu qu’ils ne figurent jamais dans leurs représentations même dans leurs peintures récentes. « Le tissu par défaut », c’est autant dire que «le repli réflexif » comme mode de pensée est aussi là seulement “par défaut”. Et cela vaut pour toute leur activité symbolique . Pour les Aborigènes tout est dans « l’étendu existentiel », tout est territorialisé. Et plutôt la permanence que les temps successifs du repli .

3 commentaires pour “3ème article - Le Tissu “par défaut” - Les Aborigènes d’Australie”

  1. Elisabeth Baillon dit :

    cher Patrice,
    Je suis intriguée par ce “repli reflexif” qui est le grd manque de notre époque(voir l’essai de C. Haroche,”l’Avenir du sensible” les sens et les sentiments en question au PUF )comment l’interpretez vous ?
    Ainsi que cette déterritorialisation où la voyez vous s’exprimer ,aujourd’hui par défaut tout comme la pensée réflexive , ds notre société?
    ce corps intérieur offert au regard de l’autre tout cela me parle infiniment
    Elisabeth Baillon

  2. Joubert Alain dit :

    Pour qu’il y aît “tissu par défaut”, il me semble qu’il faudrait que les aborigènes aîent vu du tissu.

  3. Patrice Hugues dit :

    1) - Sur le 3ème article
    Votre Commentaire : “Pour qu’il y ait “tissu par défaut”, il me semble qu’il faudrait que les aborigènes aient vu du tissu”.

    - Aborigènes d’Australie - ” le tissu par défaut ” De quoi s’agit-il ? Seulement de constater ce qui marque l’absence de toute tradition de tissage dans leur civilisation de ce fait (sans prétendre relever quelle est la dimension de ce manque dans leurs conditions de vie ), et ce qui néanmoins indique l’amorce d’une évolution, d’une attente dynamique de quelque chose dont les caractères sont déjà formellement analogues à ceux des tissages et des vêtements , mais sans qu’il y ait nulle part de tissu de leur propre crû parce que cette évolution n’a pas mené jusque là ; elle est restée en deçà ( ne pas mélanger avec l’introduction des tissus dans la vie des Aborigènes par les Européens) . Quel est l’état de fait dans une civilisation qui n’ a pas le tissu mais montre qu’elle est en attente de quelque chose qui sera le tissu, sans qu’elle le sache ni ne pense à le savoir et le nommer comme tel. Ce qui est à considérer ce sont donc ces signes d’un état de fait sans le tissu mais qui n’en sont pas moins des caractères “prétextiles”; exactement comme pour le langage il y a relever les caractères et les signes qui en ont annoncé l’avènement dans le temps où, avec nos expressions issues des procédures informatiques, nous pourrions parler pour ce temps là “d’un langage par défaut ” ou d’un temps ” en “attente du langage “.
    “Tissu par défaut” , cette formule-titre ne doit pas être prise pour autre chose qu’une façon de retenir un instant l’attention et d’engager à entrer dans le questionnement plus profondément en quittant nos habitudes, qui peuvent nous faire dire presque automatiquement : - “tissu par défaut” pour eux, ça voudrait dire qu’ils en ont manqué - En fait la question ne s’est jamais posée pour eux, ils n’ont jamais produit de tissu de leur crû, ils n’en ont jamais manqué et bien sûr ils n’en ont jamais vus avant l’arrivée des Européens, même s’ils ne peuvent les ignorer depuis que les Australiens blancs les leur ont plus ou moins imposés selon la norme européenne du “vêtu”.
    Je me réserve d’aborder prochainement les tissus péruviens précolombiens du Pérou en qualifiant la place des tissus dans cette civilisation de même façon mais inverse : dans leur cas “Tissus par excès” .
    Encore un effort pour mon interlocuteur : je lui demande de se reporter au chap.2 du Cahier III pp.28 à 46 ( http://www.patricehugues.fr ) sur les Aborigènes d’Australie où les choses sont traitées plus à fond . Ce qui est en jeu dans votre bref commentaire et dans ma réponse, c’est la perspective selon laquelle on aborde ces faits de civilisation très loin de nous . C’est d’ailleurs l’enjeu de tout ce Cahier III . Changer nos perspectives et ne pas hésiter à mettre en cause nos catégories immuables . Le risque de rétroprojection à partir de notre point de vue menace constamment . A propos des Aborigènes je me place dans leur perspective et non comme s’il me suffisait de penser y voir clair en lisant leur réalité à partir des catégories de nos savoirs, ce qui donne justement : il ne peut pas y avoir de “tissu par défaut” pour qui n’aura jamais vu de tissu . C’est pourtant une formule accomodante pour passer de notre perspective habituelle à la leur. Elle peut sûrement être améliorée . Merci donc.

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