2ème article - Des signes annonciateurs des premiers tissages (fin du paléolithique supérieur - début du néolithique)
Avant les premiers tissages on peut retenir comme des signes qui les annoncent dès la fin du paléolithique supérieur et au tout début du néolithique les deux traits suivants : 1) disparition progressive et bientôt complète des figurations d’animaux dans les gravures et peintures rupestre;- 2) en revanche les signes abstraits, présents de longue date, se multiplient alors .
En rapport avec ces deux faits, suit dans ce Cahier III (chap.1 -”Le Tissu”) une approche des premiers tissages selon un éclairage inhabituel qui se défend . Qu’en pensez-vous ?
En voici des extraits :
Sur les parois des grottes encore fréquentées, alors que disparaissent les figurations d’animaux, se sont multipliés, dans les tout derniers temps du paléolithique supérieur (Aurignacien – Gravettien - Magdalénien) sur os ou sur des galets et plaquettes brutes, les signes sans figurations, points, stries nombreuses ordonnées en séries, souvent reprises en chevrons, des rectangles eux-mêmes divisés selon des partitions en grille … et il est plus que probable que des signes analogues intervenaient dans le même temps dans des peintures corporelles, comme en témoignent encore aujourd’hui les peintures rituelles sur le corps des Aborigènes d’Australie . Ce qui, selon O. Keller que je suis ici (1), était alors le premier souci d’expression, n’était plus la figuration des animaux qui avait tellement intéressé les chasseurs (et cueilleurs) mais de rendre manifeste le mouvement par la recherche spontanée de rythmes, moyennant des répétitions simples, par exemple par translations répétées d’un même signe. On sera là vite très proche des encoches de la baguette du chasseur mais aussi des premiers éleveurs leur permettant d’enregistrer et de compter leurs troupeaux. Rythmes et comptes élémentaires marchent alors de paire, les rythmes aidant la scansion des rituels dans toute leur symbolique et comme éléments structurants dynamiques du groupe entraîné à les respecter avec la plus extrême rigueur et le plus extrême précision dans tout le détail des gestes de ces rituels, jusque dans leurs accessoires. La dynamique des anciennes gravures rupestres figuratives laisse alors la place à la dynamique des répétitions et des rythmes. Les premiers comptages sont pratiqués et vont bientôt se retrouver dans les premiers tissages. Certainement il fallait cette évolution pour que aussi bien au niveau des structures mentales, des danses et cortèges rituels qu’au niveau le plus concret des outillages, des objets et des techniques, soient bientôt réunies les conditions d’apparition des premiers gestes de répétition d’entrecroisement de fibres ou de fils (premiers fils sans doute à partir de la laine mèche des ovins ou caprins, faisant suite aux lanières de cuir passées à l’aiguille pour coudre les vêtements de peau des magdaléniens), des premiers gestes de tissage, avec des comptes élémentaires, des répétitions et des rythmes en parfaite intégration avec le mouvement des corps et la demande d’animation cohérente des mentalités collectives.
Rythmes, cortèges, danses et parures (comptant éventuellement les premiers tissus cérémoniels) sous forme de rituels, sont des modalités essentielles de l’élargissement du corps/esprit à des dispositions actives de communication au sein du groupe comme avec les êtres sacrés dans l’environnement. Ces mêmes rituels sont en même temps l’un des principaux modes de transmission des savoirs et des croyances….
Patrice Hugues
(1) v.« Quelques données pour une préhistoire de la Géométries » – Olivier Keller ; Anthropologie 2001 vol.105(INIST-CNRS)
29 mai 2008 à 16:48
Si je comprends bien c’est une évolution vers la conceptualisation dans laquelle le tissu a joué un rôle.
C’est plausible.
2 juin 2008 à 16:09
Sur le 2ème article
Votre Commentaire :”Si je comprends bien c’est une évolution vers la conceptualisation dans laquelle le tissu a joué un rôle. C’est plausible”.
“Plausible”, dites vous, c’est à dire acceptable en plaidant pour la vraisemblance entre le juste et le faux . Mais il ne s’agit pas de cela : il y a des faits avancés, on les prend en compte ou on juge qu’ils n’en valent pas la peine. Cependant ils résistent (se reporter pour un exposé plus complet au chap.1, pp.2/3 du Cahier III par http://www.patricehugues.fr ).
Là encore comme pour le précédent commentaire (sur les Aborigènes d’Australie - “le tissu par défaut”) je propose de remplacer notre logique souveraine qui veut que l’aventure de l’esprit soit la seule sortie intéressante de l’effort d’une civilisation avec la conceptualisation de la réalité comme principal horizon, je propose de remplacer cette logique par la perspective des humains engagés aux origines dans cet effort. Les choses et les signes qu’ils produisaient étaient leur étayage principal, sans conscience possible d’aucune finalité intellectuelle, sans être mus par autre chose qu’une vie constamment en passe d’adaptation : de signe en signes, de pratique de gestes en pratique de gestes, ils allaient bientôt produire le tissu, une réalité “chose et esprit à la fois”, solide et tellement utile, sans notion théorique dans ces premiers tissages, de besoin de rythmes en rythmes que concrétisaient, comme les danses rituelles, les croisures de fils un jour bien comptés . Le fait est que dans cet effort ont opéré conjointement le corporel pour vêtement et danse et le mental (progrès des comptages concrets des fils et des croisures, nécessité d’une première élémentaire rigueur ) . C’est bien plus cela dont il s’agit, d’ une marche indissociable synchronisée du concret et d’un début d’abstraction pratique sans du tout reprendre comme nous en avons l’habitude le tissu dans un rôle à part, forcément subordonné, à des fins qui veulent la séparation par une distance radicale de nature, tenant ce rôle de la chose (les premiers tissus) à distance des fonctionnements intellectuels . Pour moi la distinction entre les deux aux origines n’a pas existé, même en germe, il ne faut pas la retroprojeter sur ces origines . Les deux marchaient ensemble, l’abstrait dan ses débuts ne pouvait être que concret, les objets produits engendraient pour une part les premières abstractions . Dans cette limite, d’accord avec votre commentaire. Le début de la spiritualité était “corps” (elle l’est toujours), les premiers tissus comme bien d’autres objets entraient dans les rituels, l’utilitaire marchaient au même rythme que les danses. Les premiers cultes ne pouvaient naître dans d’autres dimensions que les créations matérielles et réciproquement . Pas d’avènement séparés.