9ème article/question - Surnaturel et Stylisation?

Surnaturel et Stylisation

Deux exemples de mots dont l’emploi conduit à deux dérives de la pensée . Le « surnaturel » au sens strict veut dire : qui ne s’explique pas par des causes naturelles perceptibles , ni par des relations de cause à effet clairement lisibles dans la réalité immédiate. Aucune entité métaphysique n’est impliquée, cependant l’emploi courant substitue automatiquement à la définition première la notion d’une telle entité métaphysique derrière le mot surnaturel, sans nécessité , alors qu’il suffit de rapporter ce qui est appelé phénomènes surnaturels à tout ce qui n’était pas ou n’est pas accessible à la connaissance et pas non plus à la conscience intuitive claire du réel, en somme à tout ce qui n’est pas maîtrisée par la conscience. L’inconscient n’est pas loin de ça sauf qu’il est reconnu existant de fait parmi les encours humains naturels, faisant partie de la nature humaine . Pour les sociétés anciennes le mot « surnaturel » employé pour désigner les forces, les esprits, les êtres qui naissent d’une immersion purement existentielle dans le réel et sont à l’origine de leurs croyances, rites et mythes, sans aucune forme de pensée métaphysique, ce mot doit pouvoir être remplacé par “communicant avec l’inconnu » dans l’homme, dans son environnement et dans son rapport à celui-ci ; lequel rapport s’avère progressivement tout fait de réalités naturelles. Mais 30 à 40 siècles de repli réflexif ont mené à cette dérive qui veut que “surnaturel » veuille dire pour tout le monde « dû à une intervention mystérieuse divine ou mythique, ou d’autres mondes non naturels » . Même Cl. Lévi-Strauss emploie le mot « surnaturel » sans prendre soin de rétrécir son sens à sa juste dimension de « communicant avec l’inconnu » avec toutes les incursions et innovations créatrices que cela promet .
Il y a un non-sens du même genre à propos de l’emploi que Cl. Lévi-Strauss fait du mot « stylisé » pour qualifier la principale différence entre les créations visuelles des sociétés archaïques et celles de nos civilisations : ces créations, dit-il, sont « entièrement stylisées » alors que celles de nos civilisations sont plus soucieuses et respectueuses d’une ressemblance avec la réalité telle que nous la percevons (cf.la Mimésis d’Aristote : ressemblance/imitation vis-à-vis de la réalité et respect de sa valeur « objective ») .

L’acception courante est que stylisation veut dire : simplification et géométrisation des formes permettant d’aller vers le décoratif. Lévi-Strauss, qu’il le veuille ou non, véhicule nécessairement cette réduction péjorative au décoratif quand il l’applique par exemple aux créations des peuples indiens de l’Amérique du nord-ouest jusqu’à la rive du Pacifique ( ex. : Colombie Britannique et Etat de Washington) . Alors qu’il est question de tout autre chose, de mythes et de rites « en transformation » selon lesquelles se trouvent structurés les croyances , les parentés, les groupes de peuples . Et cela peut aller jusqu’à établir modèles et conventions à la base d’une tradition. C’est bien tout ce que Cl. Lévi-Strauss nous expose avec la plus grande précision. Il s’agit toujours de la recherche d’une forme de communication avec « d’autres mondes » (chamanisme), avec l’au-delà du visible et du connu. Ces modes «en transformations réciproques » d’un peuple à l’autre sont dans la nature du fonctionnement des groupes humains . On est aussi loin du décoratif dans ces œuvres visuelles que d’un « surnaturel » transcendant ou métaphysique . Il est plus opportun de parler d’un « entre-deux » entre peuples et milieux naturels.

Si bien qu’on est amené à trouver attelées ensemble les deux dérives - Surnaturel et Stylisation - comme deux voies d’erreur, deux voies d’inconséquence dans notre approche des civilisations et des cultures qui nous sont étrangères ; deux projections également erronées complètement déplacées et inappropriées de nos façons de voir et de penser reportées sur ces civilisations qu’il s’agit de reconnaître pour ce qu’elles sont effectivement et non pas de les recadrer selon nos mesures . Attelées ensemble, ces deux notions - Surnaturel et Stylisation - , pourtant on les croirait d’ordinaire étrangères l’une à l’autre . Cela veut dire quoi ? Qu’il y a un défaut dans l’armure des mots .

 

 

Brancusi 004Brancusi 013
Deux masques Kwiatkiutl – Colombie Britannique
Tirés de « la Voie des Masques »
de Cl. Lévi-Strauss

L’Art tel qu’il se définit aujourd’hui est une forme de chamanisme moderne - une crypto-religion » - ; il ne veut pas s’avouer qu’il est juste la pratique sous couvert « d’esthétique » de l’incursion créatrice dans le domaine du non connu, en communication sensible avec un entre-deux, entre connu et inconnu, qualifié trop souvent et abusivement de “surnaturel”, pour rendre visible et dicible un inconnu tout à fait réel, qui n’est ni métaphysique ni transcendant. mais relève exclusivement des exigences de la conscience et de la sensibilité humaines à leur niveau d’intégration le plus élevé. Comme Beuyes ou Mathew Barney ( et Bjôrk), Jan Favre, Jeff Koon, Damien Hirst ne sont-ils pas à prendre comme des chamanes ? L’inconscient comme le supposé besoin de transcendance corespondent au même fonctionnement : la projection ou la plongée vers l’inconnu et tous deux sont également dans le champ du chamanisme (ça vaut pour la religion monothéiste ou pur les psy ) .

Additif : Cette dernière remarque/question qui semble prétendre à une portée générale retient à part l’œuvre de Brancusi qui s’est construite pas loin de la « voie des masques » : stylisée, peut-on dire, et parfois inclinant vers le « décoratif » - sans jamais y verser, ce qui fait réfléchir-, mais n‘impliquant jamais l’ aberrante recherche d’un surnaturel transcendant, lui, Bancusi, restant toujours très proche des valeurs d’expression trouvées, ailleurs que dans la représentation imitative, dans les exigences profondes de la sensibilité et de la conscience humaines naturelles . On ne peut pas dire si nettement cela même de Picasso au-delà des Demoiselles d’Avignon. Ce commentaire est pour moi indépendant de la valeur qu’on peut attribuer à l’oeuvre de Brancusi .       Patrice Hugues

Brancusi 007Brancusi – Danaïde
et
Muse endormie

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